Avignon, le 13 Juillet 1908

Le Préfet de Vaucluse à
Monsieur le Ministre de l'Instruction Publique et des Beaux Arts

Dans une petite commune du département de Vaucluse, à Sérignan, vit un savant de premier ordre, J.H. Fabre, l'auteur des Souvenirs entomologiques que l'Académie des Sciences a honoré fréquemment de ses récompenses. Ce naturaliste connu dans le monde entier, et dont les observations ont attiré l'attention de M. Darwin, a appartenu à l'Université de France ; il a été élève de l'Ecole normale d'instituteurs de Vaucluse et il a été plus tard professeur au lycée d'Avignon.

En lisant le 6ème volume des souvenirs entomologiques, j'avais remarqué que, à défaut d'un laboratoire et de ressources pour s'en procurer, il avait dû renoncer à certaines études. Par une coïncidence heureuse, le département de Vaucluse pouvait disposer de plusieurs appareils utiles à M. Fabre. Je mis le Conseil Général au courant de cette situation et je fus immédiatement autorisé à disposer en faveur de notre illustre compatriote de tous les instruments qui lui seraient utiles.

L'embarras que j'avais entrevu un peu tard, car le 6ème volume des souvenirs entomologiques date déjà de quelques années, n'a fait que s'accroître et la situation que j'avais soupçonnée appelle une prompte intervention du Chef de l'Université. J'apprends par une lettre de Frédéric Mistral que Fabre est aux prises avec le terrible problème du pain de chaque jour et qu'il va être contraint de se dessaisir de sa collection de champignons peints à l'aquarelle qui a une valeur scientifique inestimable.

Il me semble qu'on m'enlève un lambeau de la peau, écrit Fabre à ce sujet.

Il serait digne du Grand Maître de l'Université d'intervenir pour que ce savant n'eût pas l'amertume de se séparer d'une collection indispensable encore à ses études. Il ne s'agit pas de lui offrir un secours que, dans son indépendance un peu rude, il refuserait, mais de lui assurer, au moyen de crédits de l'enseignement supérieur, comme on l'a fait pour Pasteur, la possibilité de poursuivre ses observations, sous la forme ou d'une pension ou de frais de laboratoire, ou de la façon la plus ingénieuse qu'on voudra.

Monsieur le Ministre, permettez moi de vous demander d'agir promptement. Vous avez déjà compris la parole que vous avez à dire et l'acte que vous avez à faire. Quelle belle page vous aurez ainsi dans les annales de la science. Vous pourrez être fier de marcher sur la trace de votre Prédécesseur Victor Duruy. Prenez une heure pour lire le chapitre La Chimie industrielle dans la 10ème série des Souvenirs entomologiques (Delagrave) et vous m'autoriserez aussitôt à dire à J.H Fabre qu'il n'aura pas à se séparer de sa collection ou que c'est l'Etat qui la lui achètera pour la placer dans un dépôt public lorsque le vénérable savant n'en aura plus besoin.

Le Préfet de Vaucluse,

J. Belleudy


source : Médiathèque Ceccano, Avignon. MS 5878.