Des volcans en activité peuvent s'éteindre, comme le prouvent les puys de l'Auvergne et du Vivarais ; des volcans assoupis depuis les temps les plus reculés peuvent se rallumer, ainsi que le Vésuve en a donné un terrible exemple en l'an 79 ; enfin des bouches volcaniques nouvelles peuvent soudainement apparaître.

En septembre 1538, après de nombreuses secousses du sol qui duraient depuis deux ans et tenaient en émoi les environs de Naples, on vit, dans le voisinage de Pouzzoles, la plaine se gonfler en une ampoule d'une demi-lieue de tour. Le 29, à deux heures de la nuit, cette ampoule creva tout à coup au sommet avec un horrible fracas, et s'ouvrit en une bouche formidable qui lançait un mélange de feu, de fumée, de pierres et de boue. Des détonations, comparables à celles du tonnerre le plus fort, accompagnaient les déchirements du sol. Les pierres lancées atteignaient une hauteur prodigieuse ; puis elles retombaient soit dans l'intérieur de l'ouverture, soit sur ses bords. La boue était grisâtre, comme une pâte de cendres, et très-fluide. En moins de douze heures, le terrain gonflé par la poussée souterraine et exhaussé par les déjections de pierres, de cendres et de boue, forma une colline de 144 mètres d'élévation. Pendant deux jours et deux nuits, l'éruption ne discontinua pas. La boue vomie retombait en averses si drues, que Pouzzoles et ses environs en furent inondés. Naples le fut également et vit plusieurs de ses palais ruinés par cette étrange pluie.

Réveillés en sursaut au milieu de la nuit par les premières détonations, les habitants de Pouzzoles fuyaient au hasard, effarés d'épouvante, tout souillés de boue, la mort peinte sur le visage. Les uns emportaient leurs enfants dans leurs bras, ou traînaient après eux des sacs remplis de bagages ; les autres s'acheminaient du côté de Naples avec un âne chargé de leur famille en proie à la terreur. Ceux qui conservaient encore quelque présence d'esprit, recueillaient à la hâte, sur leur passage, une multitude d'oiseaux tombés morts au commencement de l'éruption, et de poissons que la mer voisine, en se retirant sur une largeur de deux cents pas, avait laissés à sec.

Le troisième jour, l'éruption cessa. Quelques personnes gravirent la nouvelle montagne et trouvèrent qu'elle formait un vaste entonnoir de 138 mètres de profondeur. Au fond du cratère, les pierres et les scories paraissaient ballottées comme les bulles de vapeur d'un vase en ébullition. Tout semblait fini, et les curieux affluaient sur la montagne pour voir de près la bouche volcanique, quand, le septième jour, une nouvelle éruption éclata, presque aussi violente que celle de la première nuit. Plusieurs personnes furent renversées et tuées par les pierres ou étouffées par la fumée.

Quelque temps encore, on vit des vapeurs et des traits de feu s'élever de la montagne ; enfin tout s'apaisa, et depuis une tranquillité parfaite a constamment régné. On a donné à ce singulier cône volcanique, sorti de terre en une nuit, le nom de Monte-Nuovo, c'est-à-dire montagne nouvelle. Le Monte-Nuovo est aujourd'hui couvert de végétation. De son cratère assoupi, il ne s'échappe aucune vapeur.

CLAIRE. — II n'y eut pas de coulée de laves ?

AURORE. — Non, la montagne se borna à rejeter de la fumée, des vapeurs, des pierres, de la boue.

MARIE. — Cet étrange volcan qui sort de terre, en une nuit, ainsi qu'un champignon, quelque temps fait rage, puis se tait, est sans doute un fait unique et très-exceptionnel ?

AURORE. — Pas du tout. On connaît bien d'autres exemples de cette formation soudaine de volcans, là même où rien ne pouvait le faire prévoir. Ainsi, vers le milieu du dernier siècle, se trouvait au Mexique une grande plaine populeuse, arrosée par deux cours d'eau et couverte de riches cultures de maïs, de riz, de cannes à sucre. Qui aurait soupçonné que ces terres fertiles dussent un jour être livrées aux ravages volcaniques ? Jamais les feux souterrains n'y avaient grondé, aussi loin que pouvaient remonter les souvenirs de l'histoire.

Les habitants de cette plaine étaient donc dans une complète sécurité quand, au mois de juin 1759, des rumeurs souterraines éclatèrent et furent suivies, pendant deux mois, de violents tremblements de terre. Sur la fin de septembre, le terrain se souleva peu à peu sur une étendue d'un peu plus d'une demi-lieue carrée, et se boursoufla en une tumeur de 168 mètres de haut. Puis la surface de cette ampoule se mit à onduler comme une mer agitée, et se couvrit d'innombrables buttes coniques, d'espèces de pustules creuses, hautes de 2 à 3 mètres, qui s'élevaient, crevaient, s'abîmaient tour à tour. Enfin le dôme s'entr'ouvrit et vomit de la fumée, des cendres et des pierres calcinées. Bientôt, du sein de ce gouffre, six cônes volcaniques surgirent, parmi lesquels le volcan de Jorullo, dont la cime s'élève à 483 mètres au-dessus du niveau de la plaine primitive. Jusqu'au mois de février de l'année suivante, le nouveau volcan ne cessa de rejeter des courants de lave, tandis que les pustules coniques disséminées sur le dôme lançaient des vapeurs brûlantes et des fumées corrosives. Aujourd'hui le Jorullo est éteint, et des taillis épais recouvrent le terrain dévasté.

source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874