A notre système solaire, composé du Soleil, des planètes et de leurs satellites, viennent de loin en loin s'adjoindre des astres étranges, énormes, errants, accourus on ne sait d'où et replongeant bientôt dans des profondeurs où ils cessent d'être visibles. Ce sont les comètes.

Dans une comète, on distingue le noyau, la chevelure et la queue. Le noyau est la partie la plus centrale de l'astre. L'éclat y est plus vif qu'ailleurs, par suite apparemment d'une concentration plus grande de matière. Il est enveloppé d'une nébulosité volumineuse, d'une sorte de brouillard lumineux appelé chevelure. Les comètes doivent leur nom, signifiant astre chevelu, à cette particularité. Enfin on nomme queue une traînée lumineuse plus ou moins longue et de forme variable, dont la plupart des comètes sont accompagnées.

L'astre étranger, visitant peut-être notre coin de ciel pour la première fois, apparaît un soir à l'improviste. C'est d'abord une nébulosité blanche, indécise, à contour arrondi, d'un éclat plus vif au centre que sur les bords. Mais en se rapprochant du Soleil, le corps nébuleux s'altère dans sa forme et, de rond qu'il était, devient ovalaire. Puis il s'allonge encore, il épanche une partie de sa nébulosité en sens inverse des rayons solaires qui le frappent  et finalement la comète traîne après elle une immense queue. L'astre, dans sa position la plus rapprochée du Soleil, atteint son plus grand éclat et le plus complet développement de sa traînée lumineuse. Bientôt le Soleil est contourné, la comète s'éloigne. Maintenant la queue, dirigée encore en sens inverse du Soleil, précède la comète au lieu de la suivre ; de jour en jour aussi elle perd en éclat ; enfin elle se dissipe. La tête elle-même, c'est-à-dire le noyau enveloppé de sa chevelure, disparaît tôt ou tard, rendue invisible par la distance. Ainsi, d'une part, la queue d'une comète n'est pas chose permanente : elle se forme à un certain moment, aux dépens du noyau et de la chevelure, dont la matière nébuleuse s'épanche en gigantesque fusée. En second lieu, la queue n'apparaît qu'au voisinage du Soleil. Elle est probablement un effet de la chaleur émanée de cet astre, car elle est toujours dirigée à l'opposite des rayons solaires, suivant la comète quand celle-ci s'approche du Soleil, la précédant quand elle s'en éloigne.

La queue des comètes affecte des configurations variées. Tantôt elle rappelle une écharpe rectiligne, tantôt elle se recourbe en cimeterre, tantôt elle s'épanouit en éventail. Ses dimensions sont quelquefois prodigieuses. La queue de la grande comète de 1842 mesurait 60 millions de lieues de longueur, et 1,320,000 lieues de largeur. Elle aurait pu, la tête étant supposée près du Soleil, dépasser la Terre et atteindre Mars. Ces énormes traînées fluent du corps de la comète, de même que la gerbe d'étincelles s'écoule d'une fusée. La matière cométaire, refoulée, ce semble, par quelque puissance répulsive émanée du Soleil, s'épanche par la queue et se dissipe en brume invisible dont chaque flocon poursuit désormais isolément sa route dans les abîmes de l'étendue. Quel est alors le volume des comètes, pour suffire à de pareilles déperditions ? La comète de 1842 avait un volume comparable à celui de Jupiter, la planète colosse ; celle de 1811 dépassait en volume le Soleil lui-même.

La tête d'une comète comprend, vous disais-je, une partie centrale, plus brillante, le noyau, et une enveloppe nébuleuse, la chevelure. Si par ce mot de noyau on entendait un corps solide, comparable au globe des planètes et sur lequel s'enroulerait la nébulosité, on serait dans une complète erreur. Un fait décisif nous prouve, en effet, l'extrême subtilité de la matière cométaire. A travers l'épaisseur des comètes, même à travers le noyau, les plus faibles étoiles restent visibles et brillent comme si rien n'était interposé. Le brouillard le plus léger, la fumée la plus délicate sont donc comparativement choses très-grossières ; car, sous une épaisseur de quelques centaines de mètres, ils forment un écran impénétrable à la lumière des étoiles tandis que la matière des comètes, en amas volumineux comme Jupiter ou le Soleil, nous laisse arriver sans déperdition les rayons les plus faibles. La matière des comètes est tellement subtile, qu'aucune substance terrestre ne peut en donner une idée.

Longtemps les comètes, par leurs apparitions imprévues et leurs formes bizarres, ont jeté l'épouvante dans les populations. On voyait en elles les signes avant-coureurs de la peste, de la famine, de la guerre. Le bon sens, cette haute faculté qui consiste à voir les choses telles qu'elles sont, a fait justice, la science aidant, de ces folles terreurs de la superstition. Le sublime mécanisme des astres ne se règle pas sur les misères de l'homme. Un soleil ne s'éteint pas parce qu'un roi se meurt ; une comète n'accourt point étaler dans le ciel une menaçante aigrette pour annoncer la guerre, fruit de notre sottise. On est d'accord aujourd'hui sur ce point, pour peu qu'on ait eu part aux bienfaits de l'instruction. Mais un autre motif d'appréhension se présente, qui paraît assez fondé au premier abord. Les comètes se meuvent dans toutes les directions imaginables, sans aucune règle fixe ; il peut alors se faire que l'une d'elles vienne un jour à rencontrer la Terre. Qu'y a-t-il de sérieux dans cette crainte ?

Imaginez quelques grains de poussière disséminés au hasard dans l'immensité de l'air et chassés par le vent dans toutes les directions. Est-il raisonnable d'admettre que deux de ces grains s'entre-choqueront ? Non, l'extrême ampleur de l'atmosphère ne laisse à cet événement qu'une probabilité sans valeur. Or, par rapport à l'étendue où elles se meuvent, la Terre et les comètes, que sont-elles, si n'est d'autres grains de poussière ? Se préoccuper de leur rencontre possible, ce serait donc folie.

Admettons d'ailleurs la rencontre. Nous savons que la matière cométaire est subtile au point que la brume la plus délicate est substance très-grossière en comparaison. Si, par impossible, une rencontre avait donc lieu, nous traverserions la comète sans nous en apercevoir. L'énorme nébulosité n'opposerait pas plus de résistance à la Terre qu'une toile d'araignée à la pierre lancée par la fronde.

A cause de l'immensité des espaces célestes, la rencontre de la Terre et d'une comète est si peu vraisemblable, que c'est déraison que de s'en préoccuper : enfin l'excessive subtilité de la matière cométaire s'oppose à un choc désastreux. Haut le cœur ! mes enfants, si jamais viennent à vos oreilles les prédictions de quelque visionnaire annonçant le choc prochain d'une comète. Le ciel est grand. La Terre et la comète y trouveront largement place sans se heurter front contre front. D'ailleurs que craignez-vous ? Le doigt de Dieu les guide.

source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874