Vénus est cette magnifique étoile (1), à lumière si vive et si blanche, qu'on voit précéder l'aurore ou suivre le coucher du Soleil. Il n'est pas rare même de l'apercevoir en plein jour, tant elle resplendit. Lorsqu'elle se montre à l'est, on lui donne vulgairement le nom d'étoile du matin, et celui d'étoile du soir quand elle se montre à l'ouest. Les anciens la nommaient Lucifer le matin et Vesper le soir. Enfin on l'appelle encore l'étoile du berger. Ces dénominations multiples prouvent combien, de tout temps, la brillante planète a frappé les regards même les plus inattentifs.
Le télescope montre à la surface de Vénus des montagnes d'une hauteur énorme. Nos Cordillières, nos Alpes, dont les cimes blanchies par les neiges plongent dans les nuages, ne sont que des collines en comparaison de certains pics vénusiens. Enfin on y distingue une atmosphère analogue à la nôtre.
Mars nous apparaît comme une étoile brillante qui se fait remarquer, entre toutes les autres, par une vive coloration rouge. Examinée au télescope, cette planète nous présente un des plus curieux spectacles du firmament. Son disque est moucheté de grandes taches à forme permanente, à contours très-nets, les unes rougeâtres, les autres d'un vert indécis. On croirait avoir sous les yeux un hémisphère d'une petite mappemonde dont les terres seraient teintées en rouge et les océans en vert. Tel serait à peu près l'aspect de la Terre s'il nous était possible de la voir de quelque planète voisine. On présume que les taches rouges correspondent à des continents et les espaces verdâtres à des mers.
Les taches apparaissent au bord occidental de la planète elles défilent peu à peu sous les yeux de l'observateur, puis disparaissent au bord oriental pour se montrer plus tard du côté opposé. Il s'écoule 24 heures et 37 minutes entre deux retours consécutifs de la même tache à l'un ou l'autre bord du disque. Mars tourne donc sur lui-même en 24 heures et 37 minutes. Nouveau trait de ressemblance avec la Terre, qui met 24 heures pour accomplir sa rotation.
En outre, une tache circulaire d'un blanc vif occupe chacun des pôles de la planète et se détache nettement, par son éclat, du fond rougeâtre ou vert des terres et des mers voisines. L'étendue de ces taches polaires est périodiquement variable. Pendant une moitié de l'année de Mars correspondant à la saison chaude de l'hémisphère nord, la tache boréale s'amoindrit graduellement et recule vers le pôle à mesure que le soleil visite ses bords. En même temps, la tache australe, pour laquelle sévit alors l'hiver, élargit ses limites et gagne sur les espaces verts et rouges. Dans la seconde moitié de l'année de la planète, les saisons sont interverties l'hémisphère sud a l'été, l'hémisphère nord a l'hiver. Alors la tache boréale s'élargit, tandis que la tache australe s'amoindrit. Quelle peut être la signification de ce manteau blanc des deux pôles, qui, tour à tour, augmente d'étendue ou se rétrécit suivant que le, soleil l'abandonne ou lui revient ?
Pour un observateur qui verrait notre globe de quelque point du ciel, la Terre, à ses deux pôles, présenterait absolument le même aspect. Une immense coupole de neige et de glace, qui ne fond jamais en entier, occupe l'extrémité arctique de la Terre ; une coupole pareille recouvre l'extrémité antarctique. Vues de l'espace, ces deux coupoles de neige doivent apparaître comme des taches rondes, d'un blanc éblouissant, de six mois en six mois plus grandes ou plus petites, suivant la saison. En ce moment, je suppose, là-haut, au pôle nord, la couche des neiges hivernales brille dans toute son extension. Les frimas dépassent les contrées arctiques et s'étendent jusque dans les régions tempérées. Là-bas, au pôle sud, les glaces se fondent, les mers congelées redeviennent libres, les neiges disparaissent, et le sol attiédi sourit au soleil, qui lui ramène la végétation. Six mois plus tard, ce sont les régions australes qui se couvrent de neige, et les régions boréales qui sont visitées par la chaleur, la lumière et la vie. Mars a donc, comme la Terre, ses neiges et ses glaces polaires, qui, tour à tour, s'amoncellent et s'étendent pendant l'hiver, ou se fondent en partie au soleil d'été et reculent vers le pôle.
Enfin Mars possède une atmosphère semblable à la nôtre. L'observation suivante le prouve. Les taches de la planète, rougeâtres ou vertes, continentales ou océaniques, ne sont bien visibles que lorsqu'elles occupent la partie centrale du disque près des bords, elles semblent noyées sous un rideau lumineux qui en affaiblit la netteté. Enfin le contour de la planète a parfois une telle prédominance d'éclat sur le reste du disque, que Mars paraît entouré d'un mince liseré resplendissant de lumière. Ces diverses apparences ne peuvent résulter que d'une atmosphère illuminée par le Soleil.
Le circuit de Mars est de 5,000 lieues, et son volume équivaut à la septième partie de celui de la Terre. Son moindre volume à part, Mars est la planète qui ressemble le plus à notre globe.
Jupiter est 1,414 fois plus gros que la Terre. La planète colosse nous apparaît cependant comme une simple étoile, d'un blanc jaunâtre, très-brillante, mais inférieure en éclat a Vénus. Les 200 millions de lieues qui nous en séparent, pour nos regards réduisent Jupiter presque à un point brillant ; mais si le géant était plus près, il pourrait de son disque énorme nous masquer une grande partie du ciel. A la distance de la Lune, par exemple, il couvrirait douze cents fois l'espace occupé par celle-ci et dix fois la largeur de son disque ferait le tour de la voûte céleste de l'orient à l'occident. La réduction par l'éloignement est réciproque ; la Terre est amoindrie pour un astre dans le même rapport que cet astre l'est pour la Terre. Si Jupiter se montre à nous sous les apparence d'une étoile, comment donc apparaît la Terre aux yeux d'un observateur placé sur Jupiter ? Comme une pauvre étincelle à grand'peine entrevue dans les ténèbres du ciel.
Le télescope nous montre sur le disque de Jupiter des bandes irrégulières, alternativement brillantes et sombres. On présume que les bandes brillantes sont des traînées nuageuses alignées par des courants aériens qui résultent de la rapide rotation de la planète. Je vous ai déjà dit que Jupiter tourne sur lui-même en 10 heures, de sorte que la nuit et le jour y ont chacun 5 heures de durée. Quant aux bandes obscures, elles correspondent au sol obombré par son enveloppe de nuages et vu à travers une portion limpide de l'atmosphère.
Nous avons nommé satellites des astres secondaires qui circulent autour de certaines planètes, et remplissent à leur égard le même rôle que la Lune à l'égard de la Terre. Mercure, Vénus et Mars n'ont pas de satellites ; mais les nuits de Jupiter sont éclairées par quatre lunes, dont trois notablement plus grandes que la nôtre. Tantôt isolés, ou deux à deux, ou trois à trois, ou tous les quatre ensemble, les compagnons de la grosse planète montent au-dessus de l'horizon, vus en plein, à l'état de croissant ou de quartier, et amènent dans le ciel de Jupiter des magnificences d'illuminations inconnues sur la Terre.
Pour nous, les quatre lunes de Jupiter se réduisent à de petits points lumineux placés, en des situations incessamment changeantes, dans l'étroit voisinage de la planète. On les voit passer en avant de l'astre, traverser son disque, le quitter, s'avancer à gauche, puis revenir, disparaître derrière la planète et reparaître à droite quelque temps après. Au moment où il passe entre le Soleil et Jupiter, chaque satellite jette son ombre sur le disque brillant de la planète, en produisant une petite tache ronde et noire. Pour les régions de Jupiter que couvre cette tache, il y a éclipse de Soleil. Les lunettes astronomiques permettent de suivre aisément d'ici toutes les circonstances de ces lointaines éclipses.
Saturne, 734 fois plus gros que la Terre, ne produit à nos yeux qu'un assez pauvre effet. Nous le voyons comme une étoile pâle, d'apparence terne. Le télescope distingue sur le disque de la planète des bandes lumineuses, entremêlées de bandes sombres, pareilles à celles de Jupiter et dues apparemment encore à des traînées nuageuses.
De tous les globes planétaires, Saturne est le plus riche en satellites. Il en a huit pour desservir ses nuits. Il possède en outre un neuvième satellite, unique en son genre dans le système solaire. C'est un anneau circulaire, aplati, très-large et relativement fort mince, qui ceint la planète par le milieu sans la toucher nulle part. Il n'est pas continu, mais composé de trois zones concentriques, l'intérieure obscure et transparente, l'extérieure de teinte grisâtre, l'intermédiaire plus lumineuse que le disque même de la planète. Les deux dernières zones sont nettement séparées l'une de l'autre par un intervalle vide à travers lequel se voit le ciel étoilé. On présume que leur matière est de nature fluide, car on voit parfois des traces de subdivisions plus nombreuses annonçant des déchirures faciles. La largeur totale de l'anneau est de 12,000 lieues, et son épaisseur est évaluée à une centaine de lieues au plus. L'espace vide qui sépare l'anneau de la planète est de 7,500 lieues.
Cette couronne satellite accompagne Saturne dans sa rotation elle tourne autour de la planète dans le même temps que celle-ci tourne sur elle-même, comme si les deux faisaient un seul corps. Par lui-même, l'anneau n'est pas lumineux, car on le voit projeter son ombre sur la planète, de même qu'on voit la planète projeter son ombre sur lui. Il réfléchit simplement la lumière qui lui vient du Soleil. C'est donc pour Saturne une lune d'une forme exceptionnelle, embrassant le tour entier du ciel de sa majestueuse écharpe de lumière. L'imagination vainement chercherait à se, figurer le féerique éclairage des nuits saturniennes quand les huit satellites, avec leurs phases variées, mêlent leurs clartés aux blanches irradiations de l'anneau, semblable à une arche immense de lumière jetée d'un bord à l'autre du ciel.
Note :
source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874