Très honoré Monsieur
Au fond du village où je me suis retiré pour reprendre mes recherches entomologiques, je vous adresse un exemplaire d'un petit livre que je viens de publier sur les moeurs et l'instinct des Insectes.
Quelques-uns des sujets vous sont déjà connus, mais des observations ultérieures les ont largement complétés. Les autres sont nouveaux.
Ce volume sera suivi d'un autre, et peut-être même d'un troisième, dont j'ai déjà les matériaux. J'espère ainsi contribuer, pour une faible part, à la future Psychologie de l'animal.
Je désirerais remettre ce livre à l'Académie des Sciences ? Voudriez-vous avoir l'obligeance de vous en charger ? Si oui, je vous ferai parvenir un second exemplaire.
Comme le sujet peut intéresser des lecteurs même étrangers aux Sciences naturelles, j'ai cru devoir abandonner le style académique, trop grave, et laisser courir la plume avec un peu plus de liberté. Néanmoins, la forme, parfois un peu légère, n'enlève rien à la stricte rigueurs des observations. D'ailleurs, il faut vivre ; et la plume, vous le savez, est mon seul gagne-pain. J'ai donc cherché, tout en restant dans le domaine scrupuleux de la science, d'animer un peu mes récits, ce qui je l'espère ne nuira en rien au livre du point de vue scientifique.
J'ai préparé un mémoire sur les Moeurs des Halictes et sur un cas remarquable de parthénogénèse que présentent ces Hyménoptères. Je vous demanderai de vouloir bien le présenter à l'Académie des Sciences. Si vous ne trouvez pas ma demande inopportune, je me mettrai à rédiger finalement mes notes et je vous ferai parvenir le manuscrit.
J'espère aussi vous adresser assez prochainement quelques autres mémoires entomologiques pour lesquels je possède des matériaux suffisants.
Très-probablement vous me croyiez mort pour la science ; il n'en est rien l'Insecte et la Plante ne me soucient que davantage. Je viens de vous en donner une preuve. En outre, Mr Decaisne a entre ses mains un manuscrit que je viens de lui envoyer sur les Sphériacées de ma région. Vous voyez que la plante et l'insecte ne sont pas encore perdus de vue par celui qui se dit avec le plus profond respect,
Votre tout dévoué
J.-H. Fabre
Sérignan (Vaucluse)
28 8bre 1879
source : © Académie des Sciences, Paris.