Très cher Monsieur
J'ai enfin reçu votre magnifique volume des Poissons. Le retard qui m'a contrarié est le fait du correspondant de Mr Clément Saint Just. Je vous renouvelle mes vifs remerciements pour le volume dont j'espère tirer un excellent parti pour mon instruction et celle de beaucoup d'autres. Depuis que je l'ai reçu je suis redevenu un hôte assidu des pêcheurs du Rhône, comme au temps où je me préoccupais de vous adresser nos ablettes et nos goujons.
Au reçu de votre dernière lettre, je me suis mis en chasse des Cigales. Mes chasses ont été peu fructueuses, l'époque étant déjà tardive. Ce n'est là du reste que le moindre mal. Il m'a été impossible de conserver mes cigales vivantes du soir au lendemain. J'ai essayé de pas mal de manières sans pouvoir réussir à maintenir en vie mes prisonnières une journée. L'époque trop avancée est sans doute cause de mon échec. Sur leur déclin, ces animaux se laissent mourir au moindre changement dans leurs habitudes. Je désespère donc de pouvoir maintenant vous faire parvenir des cigales vivantes, ainsi que vous me le demandez. Il faudrait pour y réussir, les faire voyaager en juin, moment de leur plus forte vitalité. Sur les Oliviers on n'en entend presque plus aujourd'hui, et celles qu'on rencontre sont mortes dans une demi journée.
Je vous ai recueilli toutefois quelques uns de ces insectes. Ils sont là sur ma table au moment où je vous écris cette lettre, mais morts, secs. Je doute que cela puisse faire votre affaire. Si oui, je vous les enverrai tels quels. Je pourrais peut-être en trouver encore et les mettre dans l'alcool, si vous avez en vue la dissection. Mais alors, dépêchez-vous de me répondre. Sous peu on n'en trouvera absolument plus, si toutefois on en trouve encore après la pluie et la bise qui nous sont arrivés.
Quant aux larves, vous savez qu'elles se tiennent dans la terre à une grande profondeur. Il faut pour les trouver bêcher profondément et au hasard car rien au dehors en trahit la présence. Je n'ai pas osé encore entreprendre cette chasse si problématique. On pourrait bêcher pas mal de mètres carrés sans en trouver une. Si toutefois il le faut, je suis prêt à bêcher des jours entiers pour une larve, et celle-là vous parviendra vivante. Elles ont la vie dure les coquines.
Pour le moment peut-être ai-je votre affaire, si vous n'avez en vue que le dessin, le croquis de la larve. J'ai recueilli en effet bon nombre de dépouilles de larves au moment de la métamorphose. Ces dépouilles, accrochées à l'écorce des Oliviers, conservent parfaitement la forme de la larve. Qui les voit, voit la larve.
En somme : j'ai des cigales mortes et des dépouilles de larves propres au tracé d'un dessin des plus exacts. Faut-il vous envoyer cela ?
Et enfin : tenez-vous beaucoup à des larves vivantes ? C'est difficile à se procurer, mais enfin c'est possible. Je suis à vos ordres.
Votre tout dévoué.
J.-H. Fabre
Avignon
août 1866
source : © Académie des Sciences, Paris.