Monsieur,

Votre lettre a été pour moi tout à la fois une source de satisfaction et une source de regret.

De satisfaction, car elle m'a appris qu'au milieu de l'obscurité où m'avait plongé le texte erroné dont je disposais, la rigueur de la logique et la précision de l'expérience m'avait néanmoins conduit juste au héros du petit drame observé par le savant Erasme Darwin.

De regret, car elle m'a montré en quelle erreur j'étais en suivant l'auteur que je cite, l'entomologiste Lacordaire, qui a désigné par le mot Sphex, la Guêpe réellement observée. La faute remonte plus haut que votre humble serviteur, aussi j'espère que vous voudrez bien excuser mon inadvertance.

On me parle d'une traduction Anglaise. Si cette traduction se fait, le passage erroné sera modifié en conséquence. Toutefois la conclusion n'en restera pas moins la même. Il m'est impossible de voir le moindre indice de raison dans le fait d'un insecte qui détourné du travail instinctif qu'il fait pour préparer le manger de ses larves, effrayé peut-être, dérangé en son oeuvre, remet pied à terre pour achever le travail interrompu.

Mon impartialité pour l'homme est encore plus vive que pour l'insecte, je ne négligerais donc rien, soyez-en persuadé pour réparer l'erreur commise.

Vous vous étonnez de mon peu de goût pour les théories, si séduisantes qu'elle soient. Ce travers d'esprit, si c'en est un, tient un peu à mes longues études mathématiques qui m'ont habitué à ne reconnaître la vérité qu'à la lueur d'un irrésistible faisceau de lumière.

Ne jurant par aucun maître, libre d'idées préconçues, peu enclin aux séductions des théories, je cherche avec passion la vérité, près à l'admettre quelle qu'elle soit et de quelque fait qu'elle vienne. Et comme moyen de recherche, je ne connais qu'une chose: l'expérience.

J'ai déjà préparé pour le mois de Mai prochain les matériaux pour l'expérimentation que vous me proposez au sujet des Insectes retournant à leurs nids. L'idée de la boite qui tourne rapidement dans un sens puis dans l'autre, pour désorienter les insectes, me paraît fort ingénieuse, et je ne saurais trop vous remercier de me l'avoir suggérer. En temps propice, au mois de Mai prochain, je la mettrais en application et si vous voulez bien me le permettre je vous tiendrais au courant de mes résultats. Si je peux me procurer les appareils nécessaires, j'essayerai aussi les courants d'induction.

Parmi la population de paysans de mon village, l'habitude est de faire tourner le chat que l'on se propose de porter ailleurs et dont on veut empêcher le retour. J'ignore si cette pratique obtient du succès. Je l'expérimenterai à mon tour, j'ai été très frappé de voir si bien concorder l'opération que vous me proposez au sujet des insectes et la pratique des gens de la campagne dans les environs. Cette pratique a-t-elle aussi cours en Angleterre, au sujet du chat bien entendu ? Je serai bien désireux de le savoir.

Je suis avec le plus profond respect, Monsieur, votre humble serviteur.

J.-H. Fabre

Sérignan (par Orange) Vaucluse
18 Février 1880

source : © Académie des Sciences, Paris.