Je réunis ici sous forme de notes quelques détails étrangers, il est vrai, à mon sujet, mais qui ne seront peut-être pas sans intérêt pour l'étude des moeurs des Hyménoptères. Je dois la détermination de la majeure partie des espèces que je mentionne à l'inépuisable obligeance de M. L. Dufour. C'est pour moi un bien doux devoir de lui en témoigner ici ma profonde reconnaissance.
1° Les cellules du Cerceris Ferreri sont approvisionnées avec des Curculionides d'espèces et de genres fort variés. J'y ai trouvé les espèces suivantes: Phytonomu murinus, Phytonomus punctatus, Sitona lineata, Cneorhinus hispidus, Rhynchites betuleti. Ordinairement l'approvisionnement consiste en un mélange des quatre premières espèces. À plusieurs reprises, j'ai trouvé,cependant dans chaque cellule et sans mélange de six à huit Rhynchites betuleti.
2° Le Cerceris atrenaria étend aussi loin ses déprédations, comme le constate le relevé suivant de ses victimes : Sitona lineata, Sitona tibialis, Cneorhinus hispidus, Brachyderes gracilis, Geonemus flabellipes. Le Sitona lineata est l'espèce qui se présente le pIus fréquemment. C'est aussi ce qui a lieu pour le Cerceris Ferreri.
3° Cerceris quadricincta. Les cellules sont approvisionnées chacune avec une trentaine de Curculionides. Ce nombre prodigieux s'explique par la petite taille de l'Apion gravidum,qui en forme la majeure partie. Avec ces espèces, j'ai observé quelques rares individus des deux suivantes : Phytonomus murinus, Sitona lineata.
4° Le Cerceris dont j'ai donné une description (Ann. Sc. nat., 1856, p. 148), chasse au lieu de Sphénoptères, comme je l'ai cru d'abord, de très petits Curculionides : Apion gravidum, Bruchus granarius. D'après mes observations, M. L. Dufour, qui d'abord le rapportait à l'ornata (Ann. sc. nat., 1856, t. IV, p. 261), n'est pas éloigné de le regarder comme une espèce distincte, ne se rapportant à aucun des types décrits par Lepelletier, pas même au C. minuta.
Ces divers exemples, où l'on voit la même espèce de Charançon servir de victime à des Cerceris d'espèces différentes, où l'on voit un même ravisseur s'attaquer à une proie de forme et de taille si diverses, me paraissent établir que les chasseurs de Curculionidesétendent indifféremment leurs déprédations sur toutes les espèces qu'ils peuvent rencontrer dans le voisinage de leurs terriers, pourvu que le poids n'en soit pas au-dessus de leurs forces.
5° Le Cerceris quadrifasciata Dahlb. chasse de petits Hyménoptères fouisseurs ; je l'ai surpris au moment où il immolait un Alysson bimaculatum.
6° Un sixième Cerceris,variété de l'ornata d'après M. L. Dufour, nourrit ses larves avec de très petits Hyménoptères térébrants. Dans les victimes contenues dans une cellule, et en trop mauvais état pour être spécifiquement déterminées, il s'est trouvé les quatre genres Microgaster, Bracon, Diplolepis, Chirocera.
7° Lepelletier de Saint-Fargeau donne (Hist. des Hym., t. II, p. 559) un aperçu des moeurs du Bembex rostrata. J'aiobservé le Bembex vidua,et j'ai reconnu dans cette seconde espèce des moeurs presque identiques avec celles de la première. Cependant le Bembex vidua m'a rendu témoin d'une particularité fort rare dans l'histoire des Hyménoptères fouisseurs. En épiant les mères chargées de leur proie, je les ai vues pénétrer dans des terriers peu profonds, au bout de chacun desquels je trouvais, à ma grande surprise, non des cellules plus ou moins complètement approvisionnées, mais une grosse larve tapie au fond du cul-de-sac sur un lit de débris de Diptères, et occupée à dévorer une proie fraîche, pareille à celle que je venais de voir saisir par la mère quelques instants avant. Pour mieux me convaincre de ce mode d'approvisionnement au jour le jour, si opposé à celui qu'adoptent en général les Hyménoptères dont les larves vivent de proie, j'ai ravi sa victime à la mère au moment où elle venait de s'en emparer, et après l'avoir marquée d'un signe propre à me la faire reconnaître, en lui enlevant une patte et une aile, je la lui ai rendue. Le Bembex a repris sa proie, et n'a pas tardé à pénétrer dans son terrier. Peu après, j'ai fouillé dans ce domicile, et j'ai retrouvé, entre les mandibules d'une grosse larve, le Diptère que j'avais mutilé. J'ajouterai qu'à plusieurs reprises, j'ai eu l'occasion de visiter des terriers où l'oeuf venait d'être récemment pondu. Un Diptère de petite taille, par rapport aux grosses espèces que je voyais apporter aux larves, constituait à lui seul tout l'approvisionnement de la cellule, et l'oeuf était déposé sur son abdomen. Cette première ration, sur laquelle l'oeuf doit éclore, est généralement un Sphoerophoria scripta Macq. Quant aux Diptères que la mère apporte de temps à autre à son nourrisson, ils sont de genres fort divers, mais toujours de grosse taille. Les espèces qui apparaissent le plus fréquemment appartiennent aux genres Eristalis, Helophilus, Syrphius. D'après Lepelletier, les Diptèresravis au Bembex rostrata sont encore pleins de vie, et peuventremuer leurs pattes sans pouvoir cependant marcher, et à plus forte raison voler ; ce reste de vie est évidemment nécessaire pour maintenir fraîches des victimes devant servir de pâture à une larve qui n'est pas encore éclose. Cette paralysie partielle s'obtientcomme toujours, par un coup d'aiguillon, apparemment dirigé vers les centres nerveux. Au contraire, les Diptères immolés par le Bembex viduasont complètement immobiles, rigoureusement morts. J'ai vu le ravisseur saisir au vol de gros Bombyles,les enlacer entre ses pattes, et s'abattre tout aussitôt sur le premier objet venu pour tordre et retordre la tête au captif à l'aide des mandibules. Vainement, pendant cette opération observée de trèsprès, je me suis attendu à voir jouer l'aiguillon ; l'Hyménoptère s'est borné à l'usage des mandibules pour sacrifier sa capture. Le coup d'aiguillon, s'il est donné, ne peut l'être qu'au vol, ce qui me paraît fort difficile, surtout lorsqu'il doit être dirigé vers un point déterminé. Le Bembex n'aurait-il dans son dard qu'une arme défensive ? Ignorerait-il le redoutable secret physiologique que les autres ravisseurs connaissent si bien ? C'est assez probable, puisqu'il est obligé d'alimenter ses larves au jour le jour. Cet aiguillon est d'ailleurs incomparablement plus puissant que celui des autres Hyménoptères déprédateurs, que celui des Sphex par exemple, et cependant le gibier du chasseur, une Mouche, n'exige pas une telle vigueur dans l'appareil de guerre.
8° L'Astata boops creuse ses terriers dans le sol à un pouce ou deux de profondeur. Chaque terrier ne renferme qu'une seule cellule, et celle-ci est approvisionnée avec des larves de Pentatoma albo-marginella. L'Hyménoptère va les chercher sur l'Osyris alba,et bien que la même plante nourrisse à la fois l'Insecte parfait et sa larve, il s'attaque exclusivement à cette dernière, qui, plus jeune, plus tendre, moins abritée par des téguments cornés, paraît être préférée pour un motif purement gastronomique.
9° L'Osmia tricornis profite des couloirs abandonnés de l'Anthophora pilipes pour construire ses cellule à peu de frais. Les deux Mellifères se trouvent ainsi établis simultanément dans le même sol, l'Osmie presque à la surface, l'Anthophore plus profondément. Le Clerus octo-punctatus ravage les cellules del'un et de l'autre.
10° Le Sitaris humeralis est parasite de l'Anthophora pilipes.Ce parasitisme est connu depuis longtemps; mais ce quine l'est pas, ce sont les nombreuses et singulières, morphoses par lesquelles passe cette espèce pour arriver à la forme adulte. J'espère avoir bientôt tous les matériaux nécessaires pour donner avec tous les détails désirables l'histoire de ce Sitaris. En attendant, je vais donner ici un rapide aperçu de ses morphoses encore sans exemple dans la science des Insectes.
A. L'oeuf produit une larve, qui, par sa forme, sa couleur, la consistance de ses téguments, rappelle assez bien les larves des Silpha. J'ignore encore les premières modifications que subit cette larve, et il me faut attendre la saison favorable pour remplir cette lacune.
B. Après ces modifications inconnues, mais consistant probablement en une ou plusieurs mues, apparaît une larve molle, à pattes rudimentaires, qu'on trouve établie dans les cellules de l'Anthophore. La peau de cette larve se dessèche, se détache de toute part de son contenu, sans éprouver cependant aucune rupture, et forme ainsi un sac sans issue d'une très grande finesse, et enveloppant, sans y adhérer, l'organisme suivant.
C. C'est une chrysalide ou coque, dont les téguments roux ont la consistance cornée des chrysalides des Lépidoptères ou des Pupes des Diptères. On distingue sur cette chrysalide deux cordons de stigmates, un pôle céphalique, un pôle anal, et six boutons correspondant aux pattes rudimentaires de la précédente larve.
D. L'enveloppe chrysalidaire rompt à son tour toutes ses adhérences avec l'organisme inclus, et forme un second sac sans issue, emboîté dans le prérédent, et renfermant lui-même une nouvelle larve molle, blanche, dont la forme se rapproche de celle de l'Insecte parfait, auquel on aurait enlevé ses antennes, ses pattes, ses élytres, ses ailes. Le plus souvent, la tête, de cette seconde larve correspond au pôle céphalique de la chrysalide ; mais il n'est pas, rare d'observer une orientation inverse, c'est-à-dire de voir la tête de la larve tournée vers le pôle anal de la chrysalide. Il est très fréquent encore de trouver la face ventrale de la larve tournée vers la face dorsale de la chrysalide. Ce défaut de correspondance dans les parties du contenant et du contenu n'est pas occasionné par les mouvements de la larve incluse, qui est loin d'avoir l'espace nécessaire pour se retourner bout à bout, et qui d'ailleurs est incapable de se mouvoir. On ne peut non plus expliquer ces dispositions étranges, en admettant que la larve actuelle est un parasite, inclus dans l'enveloppe chrysalidaire ; car j'ai acquis la certitude que cette larve est bien le produit immédiat de la chrysalide.
E. Cette seconde larve se dépouille, dans l'intérieur du double sac qui la renferme, d'une fine pellicule rejetée d'avant en arrière, suivant le mode ordinaire, et apparaît la nymphe qui ne présente rien de remarquable
F. La nymphe, toujours incluse dans le double berceau, rejette à son tour l'enveloppe délicate qui l'emmaillotte, et vient enfin l'Insecte parfait.
En résumé, les morphoses du Sitaris humeralis se succèdent comme il suit : première larve, chrysalide ; seconde larve, nymphe, insecte parfait. A partir de la seconde larve, les morphoses se succèdent dans le Sitaris suivant la règle générale ; mais la première larve et la chrysalide ne correspondent à rien de connu encore dans la classe des Insectes. Si je ne me trompe, il y a là un superbe exemple de génération alternante dans les Coléoptères. M. Filippi a fait connaître, à propos d'un Ptéromalien qui pond ses oeufs dans ceux du Rhynchites betuleti,un pareil mode de génération, mais moins compliqué cependant que celui du Sitaris.
11° Le Meloe cicatricosa Leacli est encore parasite de l'Anthophora pilipes. Il passe par les mêmes morphoses que le Sitaris,savoir : première larve, chrysalide ; seconde larve, nymphe, insecte parfait.
12° J'ai obtenu des cocons d'un Anthidium voisin de l'A. interruptum,et qui bâtit ses cellules avec une cire grossière, sous les pierres, un superbe parasite, le Chrysis rutilans. J'ai également obtenu des cocons du Tachytes tarsina un très petit Hedychrum. Remarquons que, dans les deux cas, les parasites étaient indus dans le cocons filés par les larves mêmes des Hyménoptères ; ce qui peut fournir un précieux renseignement sur le mode de parasitisme des Chrysides. D'après M. Aug. Brullé (Lepel., Hist. des Hym., t. IV, p 5), les Chrysides pondent leurs oeufs dans le nid simplement d'autres Hyménoptères, et non dans le corps même des larves renfermées dans ces nids ; il est vrai que, plus tard, la jeune larve de Chryside doit dévorer celle qui est la véritable fille de la maison. Les deux faits que je rapporte démontrent, au contraire que les Chrysides pondent leurs oeufs dans le corps même des larves de divers Hyménoptères, comme les Ichneumons le font à l'égard des chenilles : car il n'est pas possible d'interpréter autrement la présence des Chrysides dans des cocons intacts filés par les larves qui les ont nourris de leur propre substance.
Professeur d'Histoire naturelle au Lycée d'Avignon