La larve primitive des Méloés, obtenue directement des oeufs pondus par ces insectes par Goedart et de Geer, a été revue depuis, au milieu du duvet de divers Hyménoptères et de quelques Diptères, par un assez grand nombre d'observateurs qui n'ont pas reconnu la véritable origine de la bizarre bestiole, et qui parfois, sous l'influence des apparences les plus trompeuses, en ont fait une espèce ou un genre particulier des Insectes aptères. Le Pediculus apis de Linné [ Linn., Systema naturoe ], le Triungulinus Andrenetarum de M. L. Dufour [ L. Dufour, Annales des sciencesnaturelles, 1828 ], n'ont pas d'autre origine. Enfin M. Newport, dans son Mémoire sur les Méloés [ Newport, loc. cit ], a suivi ce parasite des Hyménoptères depuis sa sortie de l'oeuf jusqu'à son arrivée à l'état parfait, et a jeté ainsi le plus grand jour sur l'un des points les plus singuliers du parasitisme et des morphoses entomologiques.

Des observations qui me sont propres, et qui sont de nature à combler quelques rares lacunes dans le mémoire du savant anglais, m'engagent à donner ici une courte notice sur l'évolution des Méloés, en me servant du travail de M. Newport, là où mes propres observations font défaut. J'aurai ainsi l'occasion de comparer l'évolution des Sitaris avec celle des Méloés qui ressemble tant à la première, et de cette comparaison jaillira peut-être quelque lumière sur les transformations anomales de ces insectes.

La même Abeille maçonne ( Anthophora pilipes ), aux dépens de laquelle vivent les Sitaris, nourrit aussi dans ses cellules quelques rares Méloés ( Meloe cicatricosus ). C'est encore dans les nids d'une Anthophore, mais d'espèce différente ( Anthophora retusa ), que M. Newport a observé le même Méloé. Cette double demeure, adoptée par le M. cicaricosus, peut avoir quelque intérêt en nous portant à soupçonner que chaque espèce de Méloé est apparemment parasite de divers Hyménoptères, soupçon qui ne fera que se confirmer lorsque nous examinerons la manière dont les jeunes larves arrivent à la cellule pleine de miel. Malgré la présence du Meloe cicatricosus dans les demeures de l'Anthophore, que j'ai fouillées si souvent pour l'histoire des Sitaris, je n'ai jamais vu cet insecte, à aucune époque de l'année, errer sur le sol vertical, à l'entrée des couloirs, pour y déposer ses oeufs, comme le font les Sitaris ; et j'ignorerais les détails de la ponte, si Goedart, de Geer, et surtout M. Newport, ne nous apprenaient que les Méloés déposent leurs oeufs dans la terre. D'après ce dernier auteur, les divers Méloés qu'il a eu occasion d'observer creusent parmi les racines d'une touffe de gazon, dans un sol aride et exposé au soleil, un trou d'une paire de pouces de profondeur, qu'ils rebouchent avec soin après y avoir pondu leurs oeufs en un tas. Cette ponte se répète à trois et quatre reprises, à quelques jours d'intervalle dans la même saison. Pour chaque ponte, la femelle creuse un trou particulier, qu'elle ne manque pas de reboucher après. C'est en avril et en mai que ce travail a lieu. Le nombre d'oeufs fournis par une seule femelle est vraiment prodigieux. A la première ponte, qui est, il est vrai, la plus féconde de toutes, le M. Proscaraboeus, d'après les supputations de M. Newport, produit le nombre étonnant de 4218 oeufs [ The two ovaries contained the astonishing number of four thousand two hundred and eighteen eggs. Newport, loc. cit ] ; c'est le double des oeufs pondus par un Sitaris. Et que ne serait-ce pas en tenant compte des deux ou trois pontes qui doivent suivre cette première ! Les Sitaris, confiant leurs oeufs aux galeries mêmes où doivent nécessairement passer les Anthophores, épargnent à leurs larves une foule de dangers qu'auront à courir les jeunes larves de Méloé, qui, nées loin des demeures des Abeilles, sont obligées d'aller elles-mêmes au-devant des Hyménoptères qui doivent les nourrir. Aussi les Méloés, dépourvus de l'instinct des Sitaris, sont-ils doués d'une fécondité incomparablement plus grande. La richesse de leurs ovaires supplée à l'insuffisance de leur instinct, en proportionnant le nombre des germes à l'étendue des chances de destruction. Quelle est donc l'harmonie transcendante qui balance ainsi la fécondité des ovaires et la perfection de l'instinct ?

L'éclosion des oeufs a lieu en fin mai ou en juin. Goedart a obtenu cette éclosion quarante-trois jours après la ponte ; M. Newport, dans un laps de temps variant, suivant la température de la saison, depuis vingt et un jours jusqu'à trente-six; ce qui donne, en moyenne, un mois environ pour la durée de l'oeuf. C'est aussi un mois après la ponte qu'éclosent les oeufs des Sitaris. Mais plus favorisées, les larves de Méloé peuvent se mettre immédiatement à la recherche des Hyménoptères qui doivent les nourrir ; tandis que celles de Sitaris, écloses en septembre, doivent, jusqu'au mois de mai de l'année suivante, attendre immobiles, et dans une abstinence complète, l'issue des Anthophores dont elles gardent l'entrée des cellules.

Je ne décrirai pas la jeune larve de Méloé suffisamment connue, en particulier, par la description et la figure qu'en a données M. Newport. Pour l'intelligence de ce qui va suivre, il suffit de jeter les yeux sur cette figure, ou bien encore sur celles qu'en ont données Réaumur [ Réaumur, Mémoires, t. IV, pl. 31, fig. 17 ] et M. L. Dufour [ L. Dufour, loc. cit ], ignorant l'un et l'autre l'origine de cet animalcule. Je dirai simplement que la jeune larve de Méloé est une sorte de petit pou jaune qu'on trouve assez fréquemment, au printemps, au milieu du duvet de divers Hyménoptères. Comment cette larve a-t-elle passé de la demeure souterraine où les oeufs viennent d'éclore sur le dos d'un Hyménoptère ? M. Newport soupçonne que les jeunes Méloés, à l'issue du terrier où ils sont nés, grimpent sur les plantes voisines, spécialement sur les Chicoracées, et attendent, cachés entre les pétales, que quelques Hyménoptères, ou bien des Diptères leurs parasites, viennent butiner dans la fleur, pour s'attacher tout aussitôt à leur toison, et se laisser emporter par eux [ Now it is easy to concieve that the young Meloes attracted as they always are by light, ascend the stems and repose in the calyces of' flowers, and attach themselves to the bee when he alights to collect honey or pollen, or to its dipterous parasits. I am strongly inclined to believe that this is in reality the way in which they get access to the bees, as I remember te have once observed, on a hot sunny day, a vast number of minute yellow hexapods, very similar to those of Meloe, lying quietly between the petals of the flower of the Dandelion, but which were instantly in motion as soon as the flower was touched. (Newport, loc. cit., p. 313.) ] Je partage complètement cette manière de voir mais je crois, qu'au lieu de s'attacher uniquement aux Hyménoptères dont les provisions leur conviennent ou bien à leurs parasites, ce qui exigerait un singulier discernement de leur part, ils s'attachent, sans aucun choix, au corps des divers Hyménoptères ou Diptères qui viennent à se trouver à leur portée, et surtout à ceux qui sont assez velus pour leur offrir un abri sûr dans leur toison. On cite, parmi les Hyménoptères, les Andrènes, les Eucères, les Osmies, les Anthophores, les Bourdons, les Halictes, les Nomades, comme ayant été trouvés par divers observateurs avec des larves de Méloé sur le corps. J'ai moi-même observé ces larves à Avignon sur quatre espèces d'Halictes, tant mâles que femelles, sur le Nomada fulvicornis mâle, et sur l'Andrena thoracica mâle encore. Il est permis de croire qu'en prenant des voies aussi diverses, les jeunes Méloés peuvent toutefois, puisque tous les précédents Hyménoptères récoltent du miel, arriver à leur but qui est une cellule pleine de cette substance, comme je le démontrerai bientôt, et non une larve, ainsi que le présume M. Newport.

Quelques soupçons resteraient au sujet des Nomades qui ne récoltent pas ; mais si, comme le croit M. Lepelletier de Saint-Fargeau [ Hist. des Hym., t. II, p. 464 ], les Nomades sont parasites des Bourdons, la difficulté serait parfaitement levée. Tout s'expliquerait donc, même leur présence plus fréquente sur les mâles, du moins d'après mes observations de ce printemps; car on pourrait admettre que les larves de Méloé passent, au moment de l'accouplement, des mâles qui les ont recueillis dans les fleurs, sur les femelles qui seules peuvent les amener à leur destination. Mais voici qui ne saurait s'expliquer dans l'hypothèse de M. Newport. J'ai trouvé ces mêmes larves dans la toison du Scolia hoemorrhoidalis et du Scolia quadripunctata, mâles tous les deux. Or, les Scolies, à l'état de larves, vivent, comme chacun le sait, de proie animale. Dans ces pays, j'ai surpris les Scolies explorer le sol, puis s'enfoncer à vue d'oeil dans le sable, pour atteindre une larve de Lamellicorne ( Oryctes Silenus, Euchlora Julii), et déposer enfin un oeuf sur ses flancs engourdis par un coup d'aiguillon. Il est donc bien évident que les jeunes Méloés établis sur les Scolies se sont complètement fourvoyés. Même difficulté au sujet des Diptères. On a observé des larves de Méloés sur des Volucelles et sur des Éristales. Si les larves placées sur les Volucelles parasites des Hyménoptères, des Bourdons en particulier, peuvent atteindre leur but, il n'en est pas de même de celles qui se sont égarées sur les Éristales, qui, dans leur premier âge vivent au sein des eaux croupissantes. Je ne vois aucun moyen de faire arriver dans une cellule pleine de miel les jeunes Méloés que de Geer a observés sur l'Eristalis intricarius [ De Geer, Mémoires, etc., t. V, mém. 1 ] non plus que celui que Réaumur a trouvé sur un autre Éristale [ Réaumur, loc. cit ]. Rappelons encore que M. Newport, ayant jeté un Malachius bipustulalus dans un flacon contenant trois ou quatre cents jeunes larves de Méloé, vit ces larves s'attacher aussitôt en si grand nombre au Malachius qu'elles le couvrirent presque complètement jusqu'à l'empêcher de se mouvoir [ I then secured from three to four hundred of them in a phial into whichI put several living Curculiones and a single specimen of Malachius bipustulatus... The young Meloes instantly attached themselves in such numbers to the Malachius as almost completely to cover it and deprive it of the power of moving, and most of them remained attached to it for many hours. ( Newport, loc. cit., p. 309 ) ]. Ce que ces larves firent, en captivité dans un flacon, au sujet du Malachius, elles l'auraient fait indubitablement en liberté, sur les fleurs de quelque Chicoracée, si le même Coléoptère se fût trouvé à leur portée. Je suis donc convaincu que les larves de Méloé en attente sur les fleurs ne savent pas choisir leurs victimes, et s'attachent indifféremment à tout insecte qui vient y butiner, mais de préférence à ceux qui sont revêtus de quelque duvet. Si dans mes observations je les ai vues plus souvent sur des mâles que sur des femelles, la cause en est apparemment l'apparition plus précoce des mâles. Les jeunes Méloés, établis sur des Hyménoptères mâles, se sont-ils fourvoyés, ou bien atteignent-ils leur but en passant des mâles sur les femelles au moment du rapprochement des sexes ? C'est ce que j'ignore, car le petit nombre de jeunes que j'ai observés ne m'a pas permis de faire les expérimentations nécessaires pour m'en assurer. Après tout, il est assez probable qu'il se passe ici quelque chose de pareil à ce qui a lieu chez les Sitaris. Tout en admettant que les jeunes, établis sur certains mâles, puissent atteindre leur but, combien ne doit-il pas en rester d'égarés sur des Hyménoptères, des Diptères et autres insectes qui hantent les fleurs où ils se trouvent, et qui ne peuvent les conduire à des cellules pleines de miel, ou qui ne les amènent que dans des cellules dont le miel ne leur convient peut-être pas. On comprend maintenant que, pour maintenir sa race dans de justes proportions, le Méloé ait besoin de trois et quatre pontes avec le nombre d'oeufs prodigieux que M. Newport nous a fait connaître. Aux larves de Sitaris, il est impossible de s'égarer, du moins en grand nombre, bien qu'elles s'attachent indistinctement à tout insecte velu : ce dont je me suis assuré en mettant dans un flacon, avec quelques-unes de ces larves, tantôt des Hyménoptères de différentes espèces (Osmie, Anthophore, Abeille domestique), tantôt des Diptères (Eristalis tenax). Dans les couloirs où elles se trouvent, il ne passe que des Anthophores et quelques Osmies, qui, plus précoces que les premières, ne prennent pas, ou ne prennent que fort peu de ces larves encore peu actives. Cependant le nombre des larves de Sitaris est encore fort grand, quoique bien inférieur à celui des larves de Méloé. Mais ce n'est pas tout pour les larves, soit de Sitaris, soit de Méloé, que de se nicher dans la toison d'une Anthophore, il leur faut encore arriver aux cellules ; et jusqu'à ce moment combien de périls n'y a-t-il pas à courir ! Examinons maintenant comment les jeunes Méloés parviennent à s'établir dans une cellule d'Anthophore. D'après ce que j'ai dit au sujet des larves de Sitaris, il est évident que celles des Méloés, campées comme les premières sur le dos d'une Abeille, ont uniquement pour but de se faire conduire par l'Abeille dans ses cellules approvisionnées, et non de vivre quelque temps aux dépens de sa propre substance. S'il était nécessaire de prouver cette assertion, il suffirait de dire qu'on ne voit jamais ces larves faire de tentative pour percer les téguments de l'Abeille, ou bien pour en ronger quelques poils, et qu'on ne les voit pas augmenter de taille, tant qu'elles se trouvent sur le corps de l'Hyménoptère. Pour les Méloés comme pour les Sitaris, l'Anthophore sert donc simplement de véhicule vers un but qui est une cellule approvisionnée. Il nous reste à apprendre l'époque à laquelle le Méloé abandonne le duvet de l'Abeille qui l'a voituré pour pénétrer dans la cellule. Avec des larves recueillies sur le corps de divers Hyménoptères, j'ai fait cette année, avant de connaître à fond la tactique des Sitaris, et M. Newport avait fait avant moi, des recherches pour jeter quelque jour sur ce point capital de l'histoire des Méloés. Mes tentatives, calquées sur celles que j'avais faites auparavant au sujet des Sitaris, ont éprouvé le même échec. L'animalcule, mis en rapport avec des larves ou des nymphes d'Anthophore, n'a donné aucune attention à cette proie ; d'autres, placés dans le voisinage de cellules ouvertes et pleines de miel, n'y ont pas pénétré ou ont visité tout au plus les bords de l'orifice ; d'autres enfin, déposés dans la cellule sur ses flancs secs ou à la surface du miel, sont ressortis aussitôt ou ont péri englués. Le contact du miel leur est aussi fatal qu'aux jeunes Sitaris. Les essais de M. Newport n'ont pas été plus fructueux ; les voici :

"With this object in view, in june 1842, I took with me toRichborough, where I had obtained the full grown larva and nymph, an abundance of larvae recently developed from the eggs of Meloe violaceus and Meloe proscaraboeus. Previously to making any trial with these specimens in the nets of Anthophora,I had placed a few in the cells of a piece of old honey-comb, and found that contrary to their usual habit of wandering, theyremained perfectly quiet in the cells. From this circumstanoe Ihoped to succeed with them in the cells of Anthophora"....

I placed some of these young Meloes in nests of Anthophora retusa which contained each a bee-maggot and a large quantity of pollen-paste its proper food.... At first I believed that the experiment had succeeded, as one of the specimens beganimmediately to attempt to pierce the skin of the bee-larva with its mandibules, and, as I then supposed, was feeding on its Juices. But closer examination soon occasioned me to doubt that the larvae of Anthophora are the proper food of the species with which I was making the experiment. In order farther to assure myself of the truth, I put several larvae of Meloe into the cells of Anthophora, and left them for further examination. On the following day I again visited the spot, but could not discover a single larvaMeloe in the nests in which I had placed them. The larvae of Anthophora were still there, with their cells stored with food, but the Meloes were gone.

To ascertain more decidedly whether the young Meloe is parasitic on the body of the bec-larva, I selected three specimens of larvae or Anthophora of différent sizes and ages, and having placed each in a separate glass tube, included with them in each tube five or six of the larvae of Meloe. At first Meloes collected on the body of the bee-larva, and appeared as if inclined to feed upon it, but having left the tubes undisturbed for the night, I foundat the expiration of eighteen hours that the Meloes were removed from the larva, and collected together as usual at the upper part of the tube. At the expiration of forty-two hours they remained in the same state, so that the only conclusion I was enabled to arrive at was that the larvae of Meloe violaceus and Meloe proscaraboeus are not parasitic on the half or full-grown larva of Antlhophora retusa. Yet from the circumstance of theiralways attacking the larvae in these experiments there seemsreason to suspect that they may prey on the very young of some species of bee, soon after it has the egg, although not in its advanced growth [ Newport, loc. cit. p. 315 ].

Je n'ai pas vu, comme M. Newport, les larves de Méloé s'établir quelque temps sur les larves de l'Anthophore, et essayer même de leur percer la peau; je ne les ai pas vues davantage rester tranquilles sur le miel où je les déposais; dans les deux cas, elles m'ont paru, au contraire, fort inquiètes, et chercher uniquement à s'évader. M. Newport n'est pas éloigné de croire qu'il aurait réussi à faire établir les jeunes Méloés sur les larves de l'Anthophora retusa, si, au lieu de jeunes larves appartenant au Meloe violaceus et au Meloe proscaraboeus, il avait eu a sa disposition celles du Meloe cicatricosus, la seule espèce qu'il eût observée dans les cellules de l'Anthophore. Ce n'est pas là bien certainement la cause de son peu de succès : puisque le même Méloé, le M. cicatricosus, est parasite en Angleterre, et dans ces contrées de deux espèces différentes d'Anthopbore, l'A. retusa et l'A. pilipes, il est probable que les Méloés expérimentés par M. Newport, quelle que soit l'abeille qui les nourrit, se seraient contentés des cellules de l'Anthophora retusa, s'ils y avaient trouvé les circonstances voulues.

Des fouilles faites, à diverses époques, dans les nids de l'Anthophora pilipes m'avaient appris, depuis quelques années, que le M. cicatricosus est, comme les Sitaris, parasite de cet Hyménoptère ; j'avais, en effet, trouvé de temps à autre, dans les cellules de l'Abeille des Méloés adultes morts et desséchés. D'autre part, je savais, par M. L. Dufour, que l'animalcule jaune, que le Pou qu'on trouve dans le duvet des Hyménoptères avait été reconnu, grâce aux recherches de M. Newport, comme étant la larve des Méloés. Avec ces notions rendues plus frappantes, par ce que j'apprenais chaque jour au sujet des Sitaris, je me suis rendu, le 21 mai, à Carpentras, pour visiter les nids en construction des Anthophores. Si j'avais presque la certitude de réussir tôt ou tard dans mes recherches au sujet des Sitaris qui y sont excessivement abondants, je n'avais que bien peu d'espoir pour les Méloés, qui sont fort rares, au contraire, dans leis mêmes nids. Cependant les circonstances m'ont favorisé plus que je n'aurais osé l'espérer, et après six heures d'un travail où la pioche jouait un grand rôle, j'étais possesseur, à la sueur de mon front, d'un nombre considérable de cellules occupées par les Sitaris, et de deux autres cellules appartenant aux Méloés. Si mon enthousiasme n'avait pas eu le temps de se refroidir par la vue, renouvelée à chaque instant, de jeunes Sitaris campés sur un oeuf d'Anthophore flottant au centre de la petite mare de miel, il aurait pu se donner libre carrière à la vue du contenu de l'une de ces deux cellules. Sur le miel noir et liquide flotte une pellicule ridée, et sur cette pellicule se tient immobile un animalcule, un pou jaune. La pellicule, c'est l'enveloppe vide de l'oeuf d'Anthophore ; le pou jaune, c'est une larve de Méloé. L'histoire de cette larve se complète maintenant d'elle-même. Le jeune Méloé abandonne le duvet de l'Anthophore au moment de la ponte ; et puisque le contact du miel lui est fatal, il doit, pour s'en préserver, adopter la tactique suivie par le Sitaris, c'est-à-dire se laisser couler à la surface du miel avec l'oeuf en voie d'être pondu. Là son premier travail est de dévorer l'oeuf qui lui sert de radeau, comme l'atteste l'enveloppe vide sur laquelle il est encore ; et c'est après ce repas, le seul qu'il prenne tant qu'il conserve sa forme actuelle, c'est après ce repas qu'il doit commencer sa longue série de transformations, et se nourrir du miel amassé par l'Anthophore. Tel est le motif de l'échec complet, tant de mes tentatives que de celles de M. Newport pour élever les jeunes larves de Méloé. Au lieu de leur offrir du miel, ou des larves, ou des nymphes, il fallait les déposer sur les oeufs récemment pondus par l'Anthophore. A mon retour de Carpentras, j'ai voulu faire cette éducation, en même temps que celle des Sitaris, qui m'a si bien réussi ; mais comme je n'avais pas de larves de Méloé à ma disposition, et que je ne pouvais m'en procurer qu'en les recherchant dans la toison des Hyménoptères, les oeufs d'Anthophore se sont tous trouvés éclos dans les cellules que j'avais rapportées de mon expédition, lorsque j'ai pu enfin en trouver. Cet essai manqué est peu à regretter, car les Sitaris et les Méloés ayant, non-seulement dans leurs moeurs, mais encore dans leur mode d'évolution la similitude la plus complète, il est hors de doute que j'aurais dû réussir. Je crois même que cette éducation peut se tenter avec des cellules de diversHyménoptères, pourvu que l'oeuf et le miel ne diffèrent pas trop de ceux de l'Anthophore. Je ne compterais pas, par exemple, sur un succès avec les cellules de l'Osmia tricornis, dont l'oeuf est court et gros, et le mieljaune, sans odeur, solide, presque pulvérulent et d'une saveur très faible.

La seconde des deux cellules dont je viens de parler est également pleine de miel. Sur le liquide gluant flotte une petite larve blanche de 4 millimètres environ de longueur, et très différente des autres petites larves blanches appartenant aux Sitaris. Les fluctuations rapides de son abdomen dénotent qu'elle s'abreuve avec avidité du nectar à odeur forte amassé par l'Abeille. Suivant toute apparence, cette larve est le jeune Méloé dans la seconde période de son développement.

Je n'ai pu conserver ces deux précieuses cellules que j'avais largement ouvertes pour mieux en étudier le contenu. A mon retour, par suite des mouvements de la voiture, leur miel s'est trouvé extravasé, et leurs habitants morts. Le 25 juin, une nouvelle visite aux nids des Anthophores m'a procuré encore deux larves pareilles à la précédente, mais beaucoup plus grosses. L'une d'elles est sur le point d'achever sa provision de miel, l'autre en a encore près de la moitié. La première est mise en sûreté avec mille précautions, la seconde est plongée aussitôt dans l'alcool.

Ces larves (figure 7) sont aveugles, molles, charnues, d'un blanc jaunâtre, couvertes d'un duvet fin visible seulement à la loupe, recourbées en hameçon, comme le sont les larves des Lamellicornes, avec lesquelles elles ont une certaine ressemblance dans leur configuration générale. Leurs segments, y compris la tête, sont au nombre de treize, dont neuf sont pourvus d'orifices stigmatiques à péritrème pâle et ovalaire. Ce sont le mésothorax et les huit premiers segments abdominaux. Comme dans les larves de Sitaris, la dernière paire de stigmates, ou celle du huitième segment de l'abdomen, est moins développée que les autres. Tête cornée, légèrement brune. Épistome bordé de brun. Labre saillant, blanc, trapézoïdal. Mandibules noires, fortes, courtes, obtuses, peu recourbées, tranchantes et munies chacune d'une large dent au côté interne. Palpes maxillaires et palpes labiaux bruns en forme de très petits boutons de deux ou trois articles. Antennes brunes, insérées à la base même des mandibules, de trois articles : le premier, gros, globuleux; les deux autres, d'un diamètre beaucoup plus petit, cylindriques. Pattes courtes, mais assez fortes, pouvant servir à l'animal pour ramper ou fouir, terminées par un ongle robuste et noir. La longueur de la larve avec tout son développement est de 25 millimètres. Autant que je peux en juger par la dissection de l'individu conservé dans l'alcool et dont les viscères sont altérés par un trop long séjour dans ce liquide, le système nerveux est formé de onze ganglions, outre le collier oesophagien, et l'appareil digestif ne diffère pas sensiblement de celui du Méloé adulte. Celte identité de l'appareil digestif dans la larve que je viens de décrire et dans le Méloé adulte prouverait seule que cette larve est bien réellement celle du Méloé dans sa seconde période d'existence. Au besoin, s'il restait à ce sujet quelques doutes, n'avant pu être témoin du passage de la larve primitive du Méloé à la forme suivante, les faits qu'il me reste à faire connaître les dissiperaient complètement. Il est donc établi que chez les Méloés, comme chez les Sitaris, à la petite larve qui s'établit dans le duvet de l'Anthophore et pénètre dans la cellule de l'Abeille pour en dévorer l'oeuf, succède une larve de forme toute différente et qui se nourrit de miel.

La plus grosse des deux larves du 25 juin, mise dans un tube de verre, avec le reste de ses provisions, a revêtu une nouvelle forme dans la première semaine du mois de juillet suivant. Sa peau s'est fendue dans la moitié antérieure du dos ; et après avoir été refoulée à demi en arrière, a laissé en partie à découvert une pseudo-chrysalide ayant la plus grande analogie avec celle des Sitaris. M. Newport n'a pas vu la larve de Méloé dans sa seconde forme, dans celle qui lui est propre quand elle mangé la pâtée de miel de l'Abeille, mais il a vu sa dépouille enveloppant à demi la pseudo-chrysalide dont je viens de parler. D'après les mandibules robustes et les pattes armées d'un ongle vigoureux qu'il a observées sur cette dépouille, M. Newport présume que, au lieu de rester constamment dans la même cellule d'Anthophore, la larve, capable de fouir, passe d'une cellule dans une autre à la recherche d'un supplément de nourriture. Ce soupçon me paraît très fondé, car le volume que la larve acquiert finalement dépasse les proportions que fait supposer la médiocre quantité de miel renfermée dans une seule cellule.

Revenons à l'organisation précédente que M. Newport appelle pseudo-larve, et que j'appellerai pseudo-chrysalide pour les mêmes raisons que j'ai exposées dans le premier chapitre. C'est (figure 8), comme chez les Sitaris, un corps inerte, de consistance cornée, de couleur ambrée, et divisé en treize segments, y compris la tête. Cette pseudo-chrysalide, dont la longueur mesure 20 millimètres, est un peu courbée en arc, fort convexe à la face dorsale, presque plane à la face ventrale, et bordée d'un bourrelet saillant qui marque la séparation des deux faces. La tête n'est qu'une espèce de masque où sont sculptés vaguement quelques reliefs immobiles correspondant aux pièces futures de la tête. Sur les segments thoraciques se montrent trois paires de tubercules correspondant aux pattes de la larve précédente et du futur animal. Enfin, neuf paires de stigmates complètent le portrait de cette anomale organisation. Une paire est placée sur le mésothorax, et les huit paires suivantes sur les huit premiers segments de l'abdomen. La dernière paire est un peu plus petite que les autres, particularité que nous avons déjà constatée dans la larve qui a précédé la pseudo-chrysalide.

En comparant les pseudo-chrysalides des Méloés et des Sitaris on remarque entre elles une ressemblance des plus frappantes. C'est dans l'une et dans l'autre la même structure jusque dans le moindres détails. Ce sont des deux parts les mêmes marques céphaliques, les mêmes tubercules occupant la place des pattes, la même distribution et le même nombre de stigmates, enfin la même couleur, la même rigidité des téguments. Les seules différences consistent dans l'aspect général, qui n'est pas le même dans les deux pseudo-chrysalides, et dans l'enveloppe que leur forme la dépouille de la précédente larve. Chez les Sitaris, en effet, cette dépouille forme un sac sans issue enveloppant de toutes parts la pseudo-chrysalide ; chez les Méloés, elle est au contraire fendue sur le dos, refoulée en arrière, et, par suite, elle ne revêt qu'à demi le corps pseudo-chrysalidaire.

M. Newport a décrit et figuré cette troisième forme des larves des Meloés. Mes observations concorderaient parfaitement avec les siennes, si ce n'était une légère dissidence dans le nombre des segments et dans celui des stigmates. M. Newport donne quatorze segments et dix paires de stigmates à la pseudo-chrysalide des Méloés. Pour ma part, je ne peux compter que treize segments et neuf paires de stigmates. Comme ce dénombrement n'offre aucune difficulté, je ne sais à quoi attribuer ces différences, à moins qu'elles ne proviennent d'une erreur typographique ou simplement d'une erreur de la personne à qui je dois une copie du travail de M. Newport [ Ma copie porte: " It is composed, as in each of its preceding stages, of fourteen segments, and has ten pairs of spiracles. " (Textuel, p. 320. R.) Dans la larve primitive, on compte, il est vrai, 14 segments mais dans les deuxsuivantes on n'en voit plus que 13 ; enfin, dans les trois cas on ne trouve que 9 paires d'orifices stigmatiques ]. Je reproduis ici la pseudo-chrysalide des Méloés dessinée avant de connaître la figure qu'en a publiée M. Newport. On pourra ainsi plus facilement la comparer avec celle des Sitariset avec une troisième dont je vais m'occuper dans quelques instants.

L'autopsie de la seule pseudo-chrysalide qui fût en ma possession m'a démontré que, pareillement à ce qui se passe chez les Sitaris, aucun changement n'a lieu dans l'organisation des viscères, malgré les transformations les plus profondes qui se passent à l'extérieur. Au milieu d'innombrables sachets adipeux se trouve enfouie une maigre cordelette où l'on reconnaît aisément les caractères essentiels de l'appareil digestif, tant de la précédente larve que de l'insecte parfait. Quant à la moelle abdominale, elle est formée, comme dans la larve, de huit ganglions. On sait que dans l'insecte parfait elle n'en comprend plus que quatre.

Je ne saurais dire positivement combien de temps les Méloés restent sous la forme de pseudo-chrysalides; mais en consultant l'analogie si complète que l'évolution des Méloés présente avec celle des Sitaris, il est à croire que quelques pseudo-chrysalides achèvent leurs transformations dans la même année, tandis que d'autres, en plus grand nombre, restent stationnaires une année entière, et n'arrivent à l'état d'insectes parfaits qu'au printemps suivant. Telle est aussi l'opinion de M. Newport.

Quoi qu'il en soit, j'ai trouvé à la fin du mois d'août une de ces pseudo-chrysalides arrivée déjà à l'état de nymphe. Cest avec le secours de cette précieuse capture que je pourrai terminer l'histoire de l'évolution des Méloés. Les téguments cornés de la pseudo-chrysalide sont fendus suivant une scissure qui embrasse toute la face ventrale, toute la tête, et remonte sur le dos du thorax. Cette dépouille non déformée, rigide, est à moitié engagée, comme l'était la pseudo-chrysalide, dans la peau abandonnée par la seconde larve. Enfin, par la scissure, qui la partage presque en deux, s'échappe à demi une nymphe de Méloé ; de manière que, d'après les apparences, à la pseudo-chrysalide aurait succédéimmédiatement une nymphe, ce qui n'a pas lieu chez les Sitaris, qui ne passent du premier de ces deux états au second qu'en prenant une forme intermédiaire calquée sur celle de la larve qui mange la provision de miel. Mais ces apparences sont trompeuses, car en enlevant la nymphe de l'étui fendu que forment les téguments pseudo-chrysalidaires, on trouve, au fond de cet étui, une troisième dépouille, la dernière de celles qu'a rejetées jusqu'ici l'animal. Cette dépouille adhère même encore à la nymphe par quelques filaments trachéens. En la faisant ramollir dans l'eau, il est facile d'y reconnaître une organisation presque identique avec celle de la larve qui a précédé la pseudo-chrysalide. Dans le dernier cas seulement, les mandibules et les pattes ne sont plus aussi robustes. Ainsi, après avoir passé par l'état de pseudo-chrysalides, les Méloés reprennent pour quelque temps la forme précédente à peine modifiée. Dans cette quatrième période de leur développement, les Méloés ont donc la forme que reproduit la figure relative à la seconde période.

La nymphe vient après. Elle ne présente rien de particulier. La seule nymphe que j'aie élevée est arrivée à l'état d'insecte parfait vers la fin de septembre. Dans les circonstances ordinaires, le Méloé adulte serait-il sorti à cette époque de sa cellule ? Je ne le pense pas, puisque l'accouplement et la ponte n'ont lieu qu'au commencement du printemps. Il aurait passé sans doute l'automne et l'hiver dans la demeure de l'Anthophore, pour ne la quitter qu'au printemps suivant. Il est probable même que, en général, l'évolution marche plus lentement, et que les Méloés, comme les Sitaris, passent, pour la plupart, la mauvaise saison à l'état de pseudo-chrysalide, état merveilleusement approprié à la torpeur hibernale, et n'achèvent leurs nombreuses morphoses qu'au retour de la belle saison.

Ces deux exemples de métamorphoses si étranges, puisés tous les deux dans la famille des Méloïdes, portent à croire que la mêne famille doit en offrir d'autres. J'ai été assez heureux, en effet, pour en découvrir un troisième ; mais je ne peux que soupçonner le genre des Méloïdes qui me l'a fourni. Dans un nid de Chalicodoma muraria dont les cellules étaient abandonnéesdepuislongtemps, j'ai trouvé une pseudo-chrysalide ayant les plus grands rapports avec celle des Sitaris. Malheureusement elle était morte.

Cette pseudo-chrysalide (figure 9) n'est pas renfermée dans un sac de gaze formé par la peau de la larve qui a dû la précéder. Mais, comme la cellule où je l'ai trouvée était fort endommagée et même largement ouverte, il est permis de croire que cette tunique délicate a été détruite d'une manière ou de l'autre. Elle est cylindrique, obtuse aux deux bouts, cornée, d'une couleur rouge de brique. Elle rappelle, jusqu'à s'y méprendre, à la première vue, une grosse pupe de Diptère. Toute sa surface est ornée de nombreux et très petits points saillants, de chacun desquels partent quatre ou cinq petits rayons également saillants, ce qui figure autant d'élégantes étoiles qui exigent le secours de la loupe pour être aperçues. Sa segmentation est peu distincte : on parvient cependant, par un examen attentif, à reconnaître treize segments, y compris le masque céphalique où se montrent, comme à l'ordinaire, quelques vagues reliefs. Les trois segments du thorax portent chacun une paire de mamelons si exigus, que la loupe est nécessaire pour les constater. Le mésothorax est pourvu d'orifices stigmatiques, ainsi que les sept premiers segments de l'abdomen. Leur péritrème est ovalaire, noir et légèrement saillant. L'examen des pseudo-chrysalides des Sitaris et des Méloés doit nous faire soupçonner qu'il manque une paire de stigmates dans le nombre que je viens d'en donner. Et, en effet, en promenant une loupe attentive sur le huitième segment abdominal, on y découvre deux très petits tubercules imperforés représentant cette paire de stigmates comme les mamelons du thorax représentent les pattes futures. Nous avons reconnu une pareille imperfection dans la dernière paire des stigmates des pseudo-chrysalides, des Sitaris et des Méloés. La ressemblance des trois pseudo-chrysalides est donc complète jusque dans les plus légers détails d'organisation. La longueur de celle que je décris maintenant est de 9 millimètres, et sa largeur de 4 1/2 millimètres.

Le parasitisme dans une cellule d'Abeille maçonne, et la ressemblance si frappante que la dernière pseudo-chrysalide a avec les deux autres, dénotent, dans le coléoptère auquel elle appartient, des moeurs et une organisation pareilles à celles du Sitaris et des Méloés. Ce coléoptère est donc encore un Méloïde ; il subit, comme les deux premiers, les plus singulières métamorphoses, et sa larve primitive inconnue s'établit dans la toison des Hyménoptères, des Chalicodoma en particulier. Je n'ai jamais vu dans ces contrées le Sitaris apicalis, auquel la pseudo-chrysalide en question pourrait être rapportée ; mais nous avons des Zonistis proeusta, et je ne vois aucun autre insecte de cette famille dont la taille convienne à celle de la pseudo-chrysalide. Appartiendrait-elle en effet à ce Zonitis ?

Il est temps de se demander quelle est la signification des métamorphoses étranges dont je viens de tracer une esquisse. A partir de la troisième larve, les faits se succèdent dans les Sitaris et les Méloés comme dans les autres coléoptères, c'est-à-dire qu'après cette larve vient une nymphe, et après la nymphe l'insecte parfait. Mais les deux premières larves et la pseudo-chrysalide qui leur succède dans les Méloïdes paraissent tellement anormales, que d'abord on ne voit rien d'analogue dans le reste de l'ordre. Séduit par les apparences les plus trompeuses, et surtout dérouté par le défautaccidentel de correspondance entre les parties de la pseudo-chrysalide et de la larve qui en provient, j'ai cru quelque temps à l'intervention de la métagénèse dans cette évolution complexe ; j'ai cru que des matériaux plastiques amassés dans la pseudo-chrysalide se formait de toutes pièces une larve, point de départ de la forme adulte, comme la petite larve qui s'établit sur le corps de l'Anthophore est elle-même le point de départ de la pseudo-chrysalide. Dans cette hypothèse, il y aurait de l'oeuf à l'insecte adulte deux individus, l'un agame, l'autre sexué. Le premier, issu de l'oeuf, passerait par les trois états de larve primitive dévorant l'oeuf de l'Abeille, de seconde larve se nourrissant de miel, et de pseudo-chrysalide, but final de cette organisation destinée à recueillir et à préparer des substances plastiques. De ces substances naîtrait par gemmation, dans le sein de la pseudo-chrysalide, sort d'oeuf plus parfait que le premier, un nouvel individu, une nouvelle larve, origine de la forme sexuée ; et dès lors les faits s'accompliraient suivant les lois habituelles. Cette idée était séduisante ; aussi n'ai-je rien négligé pour m'assurer jusqu'à quel point elle était fondée. Une observation scrupuleuse de la pseudo-chrysalide aux diverses époques de l'année m'a convaincu que ses viscère n'éprouvent aucune modification, qu'ils se conservent identiques dans la pseudo-chrysalide, dans la larve qui la suit et dans celle qui la précède, et enfin que le défaut de concordance entre la dépouille pseudo-chrysalidaire et la larve qu'elle renferme est purement accidentelle, et dépend des mouvements dont cette larve jouit immédiatement après son apparition, mouvements qui lui permettent de se retourner bout à bout, ce qu'elle ne pourra plus faire bientôt après. La métagénèse ne peut donc être invoquée ici. Revenons alors à des aperçus plus simples. Toute larve, avant d'atteindra l'état de nymphe, éprouve chez les Coléoptères des mues, des changements de peau en nombre plus ou moins grand ; mais ces mues, destinées à favoriser le développement de la larve, en la dépouillant d'une enveloppe devenue trop étroite, n'altèrent en rien sa forme extérieure. Après toutes les mues qu'elle a pu subir, la larve conserve les mêmes caractères extérieurs : si elle, est d'abord coriace, elle ne deviendra pas molle ; si elle est pourvue de pattes, elle n'en sera pas privée plus tard ; si elle est munie d'ocelles, elle ne deviendra pas aveugle, etc. Il est vrai que, pour ces larves à forme invariable, le régime reste le même pendant toute leur durée, ainsi que les circonstances dans lesquelles elles doivent vivre. Mais supposons que ce régime varie, que le milieu où elles sont appelées à vivre change, que les circonstances qui accompagnent leur évolution puissent profondément se modifier, alors il est évident que la mue peut, doit même approprier l'organisation de la larve à ces nouvelles conditions d'existence. La larve primitive des Sitaris vit sur le corps de l'Abeille ; ses périlleuses pérégrinations exigent de la prestesse dans les mouvements, des yeux clairvoyants et de savants appareils d'équilibre, et elle a en effet une forme svelte, des ocelles, des pattes, et quelques organes particuliers propres à prévenir une chute. Une fois dans la cellule de l'Abeille, elle doit en détruire l'oeuf ; ses mandibules acérées et recourbées en crochet rempliront à merveille cet office. Cela fait, la nourriture change : après l'oeuf de l'Anthophore, la larve va manger de la pâtée de miel. Le milieu où elle doit vivre change aussi : au lieu de s'équilibrer sur un point de l'Anthophore, il lui faut maintenant flotter immobile sur un liquide visqueux; au lieu de vivre au grand jour, elle doit rester plongée dans la plus profonde obscurité. Ses mandibules acérées doivent donc s'excaver en cuiller pour pouvoir puiser le miel ; ses pattes, ses cirrhes, ses appareils d'équilibre, doivent disparaître comme inutiles, et mieux comme nuisibles, puisque tous ses organes ne peuvent maintenant que faire courir de grands périls à la larve en s'engluant dans le miel ; sa forme svelte, ses téguments cornés, ses ocelles n'étant plus nécessaires dans une cellule obscure où le mouvement est impossible, où aucun rude contact n'est à craindre, peuvent également faire place à une cécité complète, à des téguments mous, à des formes lourdes et paresseuses. Cette transfiguration, que tout démontre indispensable à la vie de larve, s'exécute par une simple mue. On ne voit pas aussi bien la nécessité des morphoses suivantes ; mais il suffit d'avoir montré qu'un changement de peau, qui n'amène aucune modification essentielle dans la forme des autres larves, produit dans les larves des Méloïdes, par suite de nouvelles conditions d'existence, la plus complète des transformations. Il n'y a donc plus lieu de s'étonner si les mues suivantes font revêtir d'abord à la larve une fausse apparence de chrysalide, pour la ramener ensuite à la précédente forme, bien que la nécessité de ces morphoses nous échappe. Les mues des larves des Méloïdes différent encore à un autre point de vue de celles que subissent les larves ordinaires. Les mues de ces dernières, étant destinées à favoriser un prompt développement, s'opèrent pendant la période active de la larve, et cessent quand, tout le développement étant acquis, la larve prépare dans une profonde torpeur le travail de la nymphose. Celles des Méloïdes ont lieu, au contraire, en partie pendant la période inactive et somnolente de la larve. Peut-être que la seconde larve des Méloïdes, celle qui se nourrit de miel, éprouve des mues pareilles à celles des autres larves, des mues qui n'altèrent pas la forme, mais élargissent simplement l'enveloppe de l'animal, à mesure que son accroissement le demande. Si elles ont lieu en effet, je n'ai pu en être témoin.

Les larves des Méloïdes subissent donc quatre mues avant d'atteindre l'état de nymphes ; et après chaque mue, leurs caractères se modifient de la manière la plus profonde. Pendant tous ces changements extérieurs, l'organisation interne reste invariablement la même, et ce n'est qu'au moment où apparaît la nymphe que le système nerveux se concentre, et que se développent les appareils reproducteurs, absolument comme cela se passe chez les autres coléoptères.

Ainsi aux métamorphoses ordinaires qui font successivement passer un coléoptère par les états de larve, de nymphe et d'insecte parfait, et qui modifient à la fois ses caractères externes et son organisation intérieure, les Méloïdes en joignent d'autres qui transforment à plusieurs reprises l'extérieur de la larve, sans apporter aucun changement dans ses viscères. Ce mode d'évolution, qui prélude aux morphoses entomologiques habituelles par des transfigurations multiples de la larve, mérite certainement un nom particulier; je proposerai celui d'hypermétamorphose.

Les faits les plus saillants de ce travail peuvent se résumer ainsi :

Les Sitaris, les Méloés, et apparemment d'autres Méloïdes, si ce n'est tous, sont, dans leur premier âge, parasites des Hyménoptères récoltants.

La larve des Méloïdes, avant d'arriver à l'état de nymphe, passe par quatre formes, que je désigne sous les noms de larve primitive, seconde larve, pseudo-chrysalide, troisième larve. Le passage de l'une de ces formes à l'autre s'effectue par une simple mue, sans qu'il y ait des changements dans les viscères.

La larve primitive est coriace, et s'établit sur le corps des Hyménoptères. Son but est de se faire transporter dans une cellule pleine de miel. Arrivée dans la cellule, elle dévore l'oeuf de l'Hyménoptère, et son rôle est fini.

La seconde larve est molle, et diffère totalement de la larve primitive sous le rapport de ses caractères extérieurs ; elle se nourrit du miel que renferme la cellule usurpée.

La pseudo-chrysalide est un corps privé de tout mouvement, et revêtu de téguments cornés comparables à ceux des pupes ou des chrysalides. Sur ces téguments se dessinent un masque céphalique sans parties mobiles et distinctes, six tubercules indices des pattes, et neuf paires d'orifices stigmatiques. Chez les Sitaris, la pseudo-chrysalide est renfermée dans une sorte d'outre close, formée par la peau de la seconde larve ; chez les Méloés, elle est simplement à demi invaginée dans la peau fendue de la seconde larve.

La troisième larve reproduit, à peu de chose près, les caractères de la seconde ; elle est renfermée, chez les Sitaris, dans une double enveloppe utriculaire formée par la peau de la seconde larve et par la dépouille de la pseudo-chrysalide. Chez les Méloés, elle est à demi incluse dans les téguments pseudo-chrysalidaires, fendus comme ceux-ci le sont, à leur tour, dans la peau de la seconde larve.

A partir de cette troisième larve, les métamorphoses suivent leur cours habituel, c'est-à-dire que cette larve devient une nymphe, et cette nymphe un insecte parfait.



Jean-Henri FABRE
Professeur d'Histoire naturelle au Lycée d'Avignon

source : Annales des Sciences Naturelles et de Zoologie, Paris, 1857.