AURORE. — La Terre tourne devant le Soleil ; en vingt-quatre heures, elle lui présente ses flancs, qui en reçoivent, à tour de rôle, leur part quotidienne de lumière et de chaleur. Pour un regard qui, du fond de l'espace, verrait les choses dans leur réalité, le Soleil apparaîtrait comme un globe énorme emplissant le ciel de ses rayons, et la Terre comme une humble boule, à demi éclairée, à demi obscure, tournant devant la gloire de l'astre souverain. Un grain de sable pirouettant devant un gros boulet rouge de feu, telle est la Terre en face du Soleil.
Pour nous, les apparences renversent ces rapports. La Terre, dont le volume semble au-dessus de toute comparaison, parce que, dans la faible partie accessible au regard, elle se montre à nous avec ses dimensions réelles, la Terre est réputée immobile, tandis que le Soleil, amoindri par la distance, réduit à un disque étincelant, nous semble parcourir le ciel. Il monte à l'orient dans la brume matinale ; il s'élève, toujours plus chaud, plus radieux, jusqu'au sommet du ciel, où il arrive à midi ; puis, redescendant, il plonge à l'occident, au milieu des nuages empourprés du soir, pour continuer sa carrière dans l'autre moitié des cieux, réchauffer de nouvelles contrées et nous revenir le lendemain.
Ce voyage apparent est chose toute simple, si l'on considère que la Terre, en tournant sur elle-même de l'ouest à l'est, dans l'intervalle de vingt-quatre heures, présente tour à tour à l'astre ses diverses régions, de telle sorte que chacune d'elles voit successivement le Soleil se lever, atteindre le haut du ciel, puis se coucher, absolument comme si le Soleil lui-même tournait en sens contraire, de l'est à l'ouest, autour de la Terre immobile.
CLAIRE. — II n'y a rien dans tout cela de bien difficile à comprendre. La Terre tourne en réalité dans un sens, et le Soleil, par conséquent, nous semble tourner dans le sens contraire.
AURORE. — Considérez maintenant que le Soleil n'éclaire et ne peut éclairer à la fois que la moitié de la boule terrestre. C'est le jour pour la région qui voit le Soleil, c'est la nuit pour la région opposée. Telle est la cause bien simple du jour et de la nuit. En vingt-quatre heures, la Terre fait un tour sur elle-même. De ces vingt-quatre heures se compose la durée du jour et de la nuit correspondante.
MARIE. — Je me rends très-bien compte de l'alternative des jours et des nuits. C'est le jour pour la moitié de la Terre qui regarde le Soleil ; c'est la nuit pour la moitié opposée. Mais comme la boule tourne, chaque pays vient successivement se mettre en face du Soleil, tandis que d'autres passent dans la moitié non éclairée.
AUGUSTINE. — La poularde qui tourne à la broche devant le foyer présente à tour de rôle, de la même façon, chacun de ses côtés aux ardeurs de la flamme. On pourrait presque dire que c'est le jour pour la moitié qui regarde le feu, et la nuit pour l'autre moitié.
AURORE. — Pour être familier, l'exemple d'Augustine n'en est pas moins très-exact. C'est bien ainsi qu'alternent le jour et la nuit à mesure que la Terre tourne devant le Soleil.
J'arrive à quelque chose d'un peu plus difficile ; écoutez bien. Puisque c'est l'une après l'autre que la Terre, en tournant, présente aux rayons solaires ses différentes régions, le Soleil ne se lève pas à la fois pour tous les pays du monde ; il n'arrive pas au milieu du ciel ; il ne se couche pas à la fois pour tous les points de la boule terrestre : par conséquent tous les pays n'ont pas à la fois la même heure.
MARIE. — J'entrevois qu'il en est ainsi sans bien m'en rendre compte.
AURORE. — Une figure nous viendra en aide. La boule que voici est traversée par une longue aiguille, appelée axe, autour de laquelle elle peut tourner. Les deux points où l'aiguille perce la boule se nomment les pôles. Vingt-quatre demi-cercles vont d'un pôle à l'autre et partagent la boule en vingt-quatre parties égales que l'on peut comparer aux côtes d'un melon. On donne à ces demi-cercles le nom de méridiens. Concevons maintenant que le globe terrestre soit divisé d'une façon pareille par des méridiens, lignes idéales que l'esprit conçoit, mais qui n'ont pas d'existence réelle. Le Soleil, qu'il faut supposer à une très-grande distance de la boule représentant ici la Terre, se trouve dans la direction S. Il éclaire la moitié du globe, et laisse dans l'obscurité l'autre moitié. Sa lumière arrive d'aplomb sur un certain méridien. Tous les points situés sur ce méridien ont maintenant midi : ils voient le Soleil au milieu de sa course, au plus haut du ciel ; tous les points situés sur le méridien opposé, dans la moitié obscure, ont maintenant minuit.
La rotation du globe autour de l'axe, rotation qui s'effectue dans le sens indiqué par les flèches, va amener, à tour de rôle, sous les rayons d'aplomb de l'astre, les méridiens suivants, marqués 11 h., 10 h., 9 h., etc. Mais, pour le moment, ces méridiens n'ont pas le Soleil en face, au haut du ciel ; et, par conséquent, la journée y est moins avancée. Le plus près, noté 11 h., n'arrivera en face du Soleil que dans une heure, c'est-à-dire qu'il n'aura midi que dans une heure. C'est donc onze heures du matin pour ce méridien. C'est dix heures du matin, neuf heures, etc., pour les suivants, qui viendront se mettre en face du Soleil dans deux heures, dans trois, etc. Quant aux méridiens marqués 1 h., 2 h., 3 h., etc., ils ont déjà passé, depuis plus ou moins longtemps, devant le Soleil, et la rotation les achemine vers l'obscurité de la nuit. Pour le premier, c'est une heure de l'après-midi ; pour le second, deux heures ; pour le troisième, trois, etc. En effet, depuis une heure, deux, trois, a eu lieu pour eux le passage en face du Soleil, c'est-à-dire l'heure de midi.
MARIE. — Je m'imagine la boule de la figure tournant autour de son axe, et je vois que chaque méridien vient à son tour se mettre en face du Soleil, tandis que d'autres se rapprochent, et que d'autres s'éloignent. Au même moment, pour le monde entier, toutes les heures possibles se présentent à la fois, depuis minuit jusqu'à midi, et depuis midi jusqu'à minuit.
CLAIRE. — Quand il est ici midi, il est minuit ailleurs ; les uns ont le matin, les autres ont le soir. Dans ce pays, on se lève ; dans cet autre, on se couche ; on dort ici, on travaille là.
AURORE. — Essayons d'assister en esprit au merveilleux spectacle de la Terre, ici en pleine lumière, là recevant les premiers rayons du matin, plus loin éclairée par les dernières rougeurs du soir, plus loin encore plongée dans l'obscurité de la nuit.
source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874