Si vous faites une infusion de thé, vous remarquerez que les grains noirs mis dans l'eau chaude se gonflent, se déploient et finalement s'étalent en autant de petites feuilles. Le thé est, en effet, la feuille d'un arbrisseau. Cet arbuste est toujours vert, d'une paire de mètres au plus de hauteur ; son feuillage est touffu, luisant ; ses fleurs sont blanches et donnent pour fruits de petites coques assemblées trois par trois. On ne le cultive qu'en Chine et au Japon.

En Chine, les plantations d'arbres à thé occupent les pentes des coteaux exposés au soleil, dans le voisinage des cours d'eau. Les feuilles sont cueillies, non pas par poignées, mais une à une, avec de délicates précautions. Si minutieux que paraisse un tel travail, il est promptement fait par des mains exercées, qui ramassent en un jour de cinq à six kilogrammes de thé. La première cueillette a lieu sur la fin de l'hiver, alors que les bourgeons s'ouvrent et laissent épanouir leurs feuilles naissantes. Cette récolte, la plus estimée de toutes, est appelée thé impérial ; elle est réservée pour les princes et les familles riches. La seconde cueillette se fait au printemps. A cette époque, quelques feuilles ont atteint leur perfection ; d'autres ne sont pas encore arrivées à toute leur croissance : néanmoins on les cueille toutes indifféremment et après on les trie et on les assortit suivant leur âge, leurs dimensions, leur qualité. La troisième et la dernière récolte se fait vers le milieu de l'été, lorsque les feuilles sont touffues et parvenues à toute leur croissance. C'est la plus grossière de toutes et la moins estimée. Lorsque la récolte du thé est achevée, on la célèbre par des fêtes publiques et des divertissements.

La préparation des feuilles se fait dans des établissements publics où se trouvent de petits fourneaux, hauts d'un mètre, sur lesquels est disposée une plaque de fer. Quand la plaque est suffisamment chaude, les ouvriers y étalent en mince couche les feuilles nouvellement cueillies. Tandis qu'elles se crispent et pétillent au contact du fer brûlant, on les remue vivement avec les mains nues jusqu'à ce que la chaleur ne se puisse plus supporter. Alors l'ouvrier enlève les feuilles avec une sorte de pelle semblable à un éventail et les jette sur une table couverte de nattes. Autour de cette table sont assis d'autres ouvriers, qui prennent les feuilles chaudes par petites quantités, et les roulent entre leurs mains, toujours dans la même direction. D'autres les éventent continuellement pour les refroidir le plus tôt possible et leur conserver ainsi la frisure donnée par les premiers. Cette manipulation est répétée deux ou trois fois afin de chasser toute l'humidité des feuilles et de leur donner une frisure solide. Chaque fois, la plaque de fer est moins chauffée et l'opération est, conduite avec plus de soin et de lenteur.

Enfin le thé est trié et empaqueté pour l'usage domestique ou l'exportation. Les qualités les plus précieuses sont renfermées dans des vaisseaux coniques d'étain ou de plomb, revêtus de fines nattes de bambou, ou dans des boîtes carrées recouvertes de plomb laminé, de feuilles sèches et de papier. Le thé commun est mis dans des pots, d'où on le retire pour le disposer dans des boîtes ou dans des caisses lorsqu'il est vendu aux Européens.

L'usage du thé s'est répandu en Europe vers le milieu du XVIIème siècle. On rapporte qu'à cette époque des aventuriers hollandais, sachant que les Chinois se préparaient leur boisson ordinaire avec les feuilles d'un arbuste de leur pays, s'avisèrent de leur porter une plante européenne, la sauge, à laquelle on attribuait alors de grandes vertus. Les Chinois acceptèrent le nouvel objet de commerce, et en échange de la sauge donnèrent du thé que les Hollandais portèrent en Europe. Mais l'usage de l'herbe européenne fut de courte durée en Chine, tandis que le thé fut si bien apprécié en Europe, qu'il devint bientôt d'un usage général. Il s'en fait aujourd'hui un commerce énorme qui se chiffre annuellement par une quarantaine de millions de kilogrammes. Il s'en consomme par an 25 millions de kilogrammes en Angleterre, 10 millions aux Etats-Unis, 1 million en Hollande.

source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874