Relativement au climat, la surface entière de la Terre se divise en cinq régions appelées zones. — La première région, nommée zone torride, est traversée en son milieu par une ligne circulaire idéale qu'en géographie on nomme équateur. Elle se termine, au nord et au sud, par deux autres lignes appelées tropiques.
Dans la zone torride, le soleil, à l'heure de midi, est toujours à peu près au point le plus haut du ciel ; ses rayons arrivent d'aplomb sur le sol et produisent cette haute température qui caractérise les pays compris entre les deux tropiques. Comme, d'autre part, les nuits et les jours conservent toute l'année, sous l'équateur, une valeur égale de douze heures, et s'écartent peu de cette égalité pour le reste de la zone, le refroidissement nocturne est exactement compensé par le réchauffement diurne, et la température ne varie pas d'une manière notable d'une saison à l'autre.
Dans ces contrées favorisées du soleil, c'est, d'un bout à l'autre de l'année, un été perpétuel. Les arbres n'y perdent jamais leur verdure, comme les nôtres dans nos tristes hivers. C'est là que les forêts se peuplent de palmiers, dont la tige s'élance d'un seul jet pour déployer au-dessus des arbres les plus élevés un immense parasol de feuilles élégantes ; c'est là que, à profusion, éclosent ces fleurs éclatantes, ornements de nos serres, mais si frileuses, que tous nos soins ne peuvent leur faire oublier le soleil de leur tiède patrie. Plus somptueux encore que les fleurs mêmes, les oiseaux y rivalisent d'éclat avec les pierres fines et les métaux précieux : sur la gorge du colibri s'allume l'éclair du rubis, de l'émeraude et de l'or poli. Là vivent encore l'éléphant, le rhinocéros et les autres colosses du règne animal, qui font trembler le sol sous le poids de leurs massives charpentes ; là rugissent le tigre et la panthère altérés de sang ; là rampent de monstrueux reptiles, couleuvres et lézards, dont le corps s'ouvre un sillon parmi les hautes herbes comme un tronc d'arbre en mouvement. Au milieu de cette puissante nature, l'homme seul est misérable. Bronzé, noirci par le soleil, dominé par un climat énervant, il reste inhabile aux travaux du corps comme à ceux de la pensée : le pays du soleil n'est le pays ni de l'activité ni de l'intelligence.
De chaque côté de la zone torride s'étendent, l'une dans l'hémisphère nord, l'autre dans l'hémisphère sud, deux nouvelles zones appelées tempérées. Elles ont pour limites, d'un côté, les tropiques, qui les séparent de la zone torride, et de l'autre, les lignes également fictives nommées cercles polaires, qui les séparent des zones glaciales. Les habitants des zones tempérées n'ont jamais le soleil exactement au-dessus de leurs têtes. Les rayons de l'astre n'arrivent au sol que sous une direction oblique en toute saison, mais beaucoup plus en hiver qu'en été pour notre hémisphère. Dans chaque zone tempérée, la durée des plus longs jours de l'année est, suivant la distance du lieu considéré à l'équateur, de 14, 15, 16, etc., jusqu'à 24 heures. En cette saison des plus longs jours, la chaleur va s'accumulant parce qu'elle n'est pas compensée par le refroidissement des nuits correspondantes, trop courtes ; et la température s'élève beaucoup. Au contraire, dans la saison opposée, c'est la durée des nuits qui l'emporte sur celle des jours ; et alors la température descend d'autant plus que l'absence du soleil se prolonge davantage.
Ces différences de température engendrent les saisons : le printemps, dont les tièdes souffles font épanouir les fleurs ; l'été, qui dore la moisson aux ardeurs du soleil ; l'automne, qui récolte la grappe sucrée du raisin ; l'hiver, époque de repos pour la végétation. Moins riches, moins variées que les productions de la zone torride, celles des zones tempérées ont cependant plus de valeur. Le froment, la vigne et les plus précieux des animaux domestiques ne prospèrent que dans les contrées à climats tempérés. C'est d'ailleurs sous ces climats que l'homme déploie toute son activité, toutes les ressources de la pensée, et que se développent pleinement les merveilles de l'art, de la science, de l'industrie. Notre beau pays, la France, occupe la partie la plus favorisée des zones tempérées.
Au delà de chaque cercle polaire s'étendent, jusqu'au pôle correspondant, les deux dernières zones appelées glaciales. Ici l'obliquité des rayons solaires et l'inégalité des jours et des nuits sont plus grandes que partout ailleurs. Sous les cercles polaires mêmes, le plus long jour et la plus longue nuit de l'année sont de 24 heures. A partir de là, cette durée augmente graduellement jusqu'à atteindre la valeur de six mois aux pôles, où le soleil reste, sans interruption, visible une moitié de l'année, et, sans interruption, invisible pendant l'autre moitié ; de sorte que l'année polaire se compose d'un seul jour et d'une seule nuit.
Or, pendant ces longues journées où le soleil tourne autour du spectateur sans se coucher, également visible à minuit et à midi, pendant ces longues journées qui en valent plusieurs des nôtres, qui valent même des semaines, des mois entiers, suivant les lieux, la chaleur, malgré l'obliquité des rayons de soleil, finit par s'accumuler jusqu'à devenir insupportable par moments. Mais aussi, quand l'hiver est arrivé et que les nuits, à leur tour, durent de 24 heures à six mois, le froid devient d'une excessive violence. Les rares navigateurs qui ont passé l'hiver sous ces âpres climats nous disent que le vin et la bière se prennent dans les tonneaux en bloc de glace ; qu'un verre d'eau lancé en l'air retombe en flocons de neige ; que le souffle de la respiration cristallise, à l'issue des narines, en aiguilles de givre ; que le contact d'un morceau de métal froid, saisi sans précaution, produit une cuisante douleur et désorganise aussitôt la peau. La mer elle-même se gèle à une grande profondeur et prolonge la terre ferme, dont elle ne diffère plus, ayant comme elle ses immenses champs de neige et ses escarpements de glace.
Pendant de longues semaines, le soleil ne se montre plus à l'horizon, il n'y a plus de différence entre le jour et la nuit, ou plutôt il règne une nuit continuelle, la même à midi qu'à minuit. Cependant, quand le temps est serein, l'obscurité n'est pas complète ; la clarté de la lune et des étoiles, augmentée par la blancheur des neiges, sous lesquelles tout est enseveli, produit une sorte de demi-jour suffisant pour la vision. D'ailleurs, vers le pôle, s'allument par intervalles les splendeurs de l'aurore boréale, foyer électrique qui darde ses rayons de lumière au haut du ciel, comme un feu d'artifice ses fusées.
A la faveur de cette clarté blafarde, dans des traîneaux qu'emportent en désordre des attelages de chiens, les peuplades de ces régions déshéritées poursuivent une proie dont la blanche et chaude fourrure forme un article important de commerce. Chétif de taille, trapu, l'habitant de ces rudes climats partage son temps entre la chasse et la pêche. La première lui fournit des pelleteries pour ses vêtements ; la seconde lui fournit sa nourriture. Des poissons desséchés, tenus en réserve à demi corrompus, de l'huile de baleine infecte, sont le régal habituel de ses entrailles faméliques. Il demande encore à la pêche le combustible de son foyer, alimenté avec des tranches de lard de baleine et des ossements de poissons. Ici, en effet, le bois est inconnu ; aucun arbre, si robuste qu'il soit, ne peut résister aux rigueurs de l'hiver. Un saule, un bouleau, réduits à de maigres buissons traînant à terre, s'aventurent seuls jusqu'aux extrémités septentrionales de la Laponie, où cesse la culture de l'orge, la plus agreste des plantes cultivées. Au delà, toute végétation ligneuse cesse, et pendant l'été on ne trouve plus que de rares touffes d'herbe et de mousse, mûrissant à la hâte leurs graines dans les creux abrités des rochers.
source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874