LE CIONE
Parmi les insectes, tel bien connu de tous fréquemment n'est qu'un sot, et tel autre ignoré a réelle valeur. Doué de talents dignes d'attention, il reste méconnu ; riche de costume et de prestance, il nous est familier. Nous jugeons de lui d'après l'habit et le volume, comme nous le faisons de notre prochain d'après la finesse du drap et l'ampleur de la place occupée. Le reste ne compte pas.
Certes, pour mériter les honneurs de l'histoire, il est excellent que l'insecte possède renom populaire. Cela repose le lecteur, à l'instant renseigné de façon précise ; cela, de plus, abrège le récit, le débarrasse des fastidieuses lenteurs descriptives. Si, d'autre part, la grosseur facilite l'observation, si l'élégance des formes et l'éclat du costume captivent le regard, on aurait tort de ne pas tenir compte de cet apparat.
Mais bien au-dessus sont les moeurs, les ingéniosités qui donnent aux études entomologiques sérieux attrait. Or il se trouve que, chez les insectes, les plus gros, les plus somptueux sont en général des ineptes, travers qui se retrouve ailleurs. Qu'attendre d'un Carabe, tout ruisselant d'éclairs métalliques ? Rien autre que la ripaille au sein de la bave d'un escargot égorgé. Qu'attendre de la Cétoine, échappée, dirait-on, de l'écrin d'un bijoutier ? Rien autre que des somnolences au coeur d'une rose. Ces superbes ne savent rien faire ; ils n'ont pas d'industrie, ils n'ont pas de métier.
Voulons-nous, au contraire, des inventions originales, des ouvrages artistiques, des combinaisons ingénieuses : adressons-nous aux humbles, le plus souvent ignorés de chacun. Et ne nous laissons pas rebuter par les lieux fréquentés. L'ordure nous réserve de belles curiosités dont nous ne trouverions pas l'équivalent sur la rose. Tantôt le Minotaure nous a édifiés de ses moeurs familiales. Vivent les modestes ! Vivent les petits !
L'un de ces petits, moindre qu'un grain de poivre, va nous soumettre grosse question, pleine d'intérêt, mais probablement insoluble. La nomenclature officielle l'appelle Cionus thapsus Fab. Si l'on me demande ce que veut dire le terme de Cione, je répondrai candidement que je n'en sais rien. Le mal n'est pas grand, ni pour l'auteur de ces lignes ni pour le lecteur. En entomologie, une dénomination est d'autant meilleure qu'elle ne signifie rien autre que l'insecte dénommé.
Si un amalgame de grec ou de latin donne un sens qui fasse allusion à la manière de vivre, bien des fois la réalité est en désaccord avec le vocable, parce que le nomenclateur, travaillant sur une nécropole, a devancé l'observateur, attentif a la cité des vivants. Aussi des à peu près et même de criantes erreurs trop souvent déparent les archives des bêtes.
En ce moment, le reproche s'adresse au mot Thapsus, car la plante exploitée par le Cione n'est nullement le Verbascum thapsus des botanistes, mais bien une autre, le Verbascum sinuatum. Ami du bord des routes, dont il ne craint pas le sol ingrat et la blanche poussière, le Verbascum sinué est une plante méridionale, qui étale sur le sol une rosace de larges feuilles cotonneuses, entaillées sur le bord de sinuosités profondes. Sa hampe florale se divise en nombreux rameaux couverts de fleurs jaunes, à filets staminaux barbus de poils violets.
En fin mai, ouvrons sous la plante le parapluie, engin de chasse du collectionneur. Quelques-coups de canne sur la girandole jaunie de fleurs en feront pleuvoir une sorte de grêle. C'est notre insecte, le Cione, tout rondelet, ramassé en globule sur de courtes pattes. Son costume ne manque pas d'élégance. Il consiste en un tricot écailleux, tiqueté de points noirs sur un fond gris cendré. Deux amples cocardes de velours noir, l'une sur le dos, l'autre au bout inférieur des élytres, caractérisent surtout l'insecte. Nul autre, parmi les Charançons de nos pays, n'en porte de pareilles. Le rostre est assez long, vigoureux et rabattu sur la poitrine.
Depuis longtemps, ce décoré de noires lunes est l'objet de mes préoccupations. Je désirerais connaître sa larve, qui, tout semble l'affirmer, doit vivre dans les capsules du Verbascum sinué. L'insecte appartient à la série des grignoteurs de semences incluses dans une coque ; il doit en avoir les moeurs botaniques. Or vainement, en toute saison, j'ouvre les capsules de la plante exploitée ; jamais je n'y trouve le Cione, sa larve, sa nymphe. Ce petit mystère accroît ma curiosité. Peut-être le nain a-t-il d'intéressantes choses à nous apprendre. Je me propose de lui dérober son secret.
De fortune, quelques pieds de Verbascum sinué étalent leurs rosaces parmi les pierrailles de mon enclos. Ils ne sont pas peuplés, mais il me sera facile de les coloniser avec des sujets apportés de la campagne et obtenus par quelques battues au parapluie. Ainsi est-il fait. A partir de mai, j'ai devant ma porte, sans crainte de troubles de la part de moutons passant, de quoi suivre à mon aise, à toute heure du jour, les actes du Cione.
Mes colonies sont florissantes. Sur les rameaux où je les ai déposés, les étrangers stationnent, satisfaits de leur nouveau campement. Ils paissent, ils se lutinent doucement de la patte ; beaucoup s'apparient et gaillardement dépensent la vie aux fêtes du soleil. Les associés par couples, l'un sur l'autre, ont de brusques oscillations latérales qui les secouent comme le ferait la détente d'un ressort alternatif. Suivent des pauses, plus ou moins longues, puis l'oscillation reprend, cesse, recommence.
Qui des deux est le moteur de la petite mécanique ? Il me semble bien que c'est la femelle, un peu plus grosse que le mâle. La secousse serait alors une protestation de sa part, un essai pour se délivrer des étreintes du compagnon, qui tient bon malgré tous les tremblements. Mieux encore : ce doit être une manifestation commune ; ils exultent d'allégresse en un roulis nuptial.
Les non accouplés plongent le rostre dans les fleurs en boutons et délicieusement se restaurent. D'autres forent dans les menus rameaux de petits trous bruns, d'où suinte une larme sirupeuse, que viendront bientôt pourlécher les fourmis. Et voilà, tout pour le moment. Rien n'indique en quel point les oeufs seront déposés.
En juillet, certaines capsules, toutes petites encore, vertes et tendres, ont à leur base un point brun qui pourrait bien être l'ouvrage du Cione, logeant sa ponte. Des doutes me viennent : la plupart de ces capsules piquées ne contiennent rien. Les vermisseaux ont donc quitté leur loge peu après l'éclosion : le pore toujours béant leur a livré passage.
Cette émancipation des nouveau-nés, cette venue prématurée aux périls du dehors n'entrent pas dans les usages des Curculionides, éminemment casaniers à l'état larvaire. Privé de pattes, grassouillet, ami du repos, leur ver craint le déplacement : il se développe au point même où il est né.
Une autre circonstance aggrave mes perplexités. Parmi les capsules que le Charançon semble avoir perforées de son rostre, quelques-unes contiennent des oeufs d'un jaune orangé, groupées en un seul tas de cinq ou six et davantage. Cette multiplicité donne à réfléchir. En parfaite maturité, les capsules du Verbascum sinué sont petites, bien inférieures comme volume à celles des autres plantes du même genre. Très jeunes encore, vertes et tendres, celles où se trouvent les oeufs sont à peine de la grosseur d'un demi-grain de blé. Dans si menu morceau, il n'y a pas de vivres pour tant de convives : ce serait insuffisant pour un seul.
Toute mère est prévoyante. L'exploiteuse du Verbascum ne peut avoir doté six nourrissons et plus d'un avoir si maigre. Pour ces divers motifs, je doute d'abord que je sois réellement en présence de la ponte du Cione. Ce qui suit n'est pas fait pour diminuer mes hésitations. Les oeufs orangés éclosent. Il en provient des vermisseaux qui, dans les vingt-quatre heures, abandonnent la chambrette natale. Ils sortent par la voie du pertuis laissé ouvert ; ils se répandent sur la capsule, dont ils tondent le duvet, pelouse suffisante à leurs premières bouchées. Ils descendent sur les ramuscules, qu'ils décortiquent, et de proche en proche sur les petites feuilles voisines, où se continue la réfection. Laissons-les grossir. Leur transformation finale me démontrera que j'ai réellement sous les yeux la larve authentique du Cione.
Ce sont des vers nus, apodes, uniformément d'un jaunâtre pâle, sauf la tête, qui est noire, et le premier segment du thorax, qui est orné de deux gros points noirs. Sur toute la. surface du corps, ils sont vernis d'une humeur glutineuse, si bien qu'ils adhèrent au pinceau servant à les cueillir et s'en détachent difficilement par des secousses. Tracassés, ils émettent du bout de l'intestin un fluide visqueux, origine apparemment de leur enduit.
Ils errent paresseusement sur les jeunes rameaux, dont ils rongent l'écorce jusqu'au bois ; ils broutent aussi les feuilles raméales, bien moindres que celles de la base. Un bon endroit de pâturage trouvé, ils s'y tiennent immobiles, bouclés en arc et retenus par leur glu. Leur marche est une reptation onduleuse, ayant pour point d'appui leur derrière collant. Impotents culs-de-jatte, mais vernis d'un enduit adhésif, ils ont la station assez fixe pour résister, sans chute, à l'ébranlement du rameau qui les porte. Quand on est dépourvu de tout grappin apte à saisir, se vêtir de glu afin de pouvoir déambuler sans péril de chute, même par un fort coup de vent, est originale invention dont je ne connais pas encore d'autre exemple.
Nos vers sont d'éducation facile. Mis dans un bocal avec quelques tendres rameaux de la plante nourricière, ils continuent quelque temps de brouter, puis ils fabriquent une jolie ampoule où doit se faire la transformation. Assister à ce travail et me rendre compte de la méthode suivie, étaient le but principal de mon étude. J'y suis parvenu, non sans grande dépense d'assiduité.
Sa vie durant, la larve est enduite, tant à la face dorsale qu'à la face ventrale, d'une humeur visqueuse, incolore, très nettement adhésive. Du bout d'un pinceau touchons légèrement la bête en un point quelconque. La matière glutineuse vient et s'étire en fil de certaine longueur. Recommençons le contact sous les ardeurs du soleil, par un temps très sec. La viscosité n'est pas amoindrie. Nos vernis se dessèchent, celui du ver ne se dessèche pas ; et c'est là propriété de haute valeur qui permet à la faible larve, sans crainte des aridités de la bise et des violences de l'insolation, solide adhérence sur la plante nourricière, amie du grand air et des chaudes expositions.
L'officine de l'enduit visqueux est aisément découverte ; il suffit de faire cheminer la bête sur une lame de verre. On voit de temps à autre une sorte de rosée filante suinter au bout terminal de l'intestin et lubrifier le dernier anneau. L'humeur glutineuse est donc déversée par le canal digestif. Y a-t-il là un laboratoire glandulaire spécial, ou bien est-ce l'intestin lui-même qui travaille le produit ? Je laisserai la question sans réponse, n'ayant plus aujourd'hui la sûreté de main et l'acuité de vue nécessaires à la fine anatomie. Toujours est-il que le ver se badigeonne avec une glu dont la terminaison de l'intestin est du moins l'entrepôt, s'il n'en est pas la source réelle.
De quelle manière l'émission visqueuse se distribue-t-elle sur tout le corps, au-dessus comme au-dessous ? La larve est cul-de-jatte, elle chemine en prenant appui sur son derrière. De plus, elle est assez bien segmentée. Le dos, en particulier, porte une série de bourrelets de quelque saillie ; la face ventrale, de son côté, se plisse de reliefs noduleux, très modifiables par le fait de la reptation. Quand il progresse, l'avant flexueux et tâtonnant pour s'informer de la voie, le ver est une série de vagues qui se suivent dans un ordre parfait.
L'onde part de l'extrémité postérieure, et rapidement gagne, de proche en proche, jusqu'à la tête. Une seconde à l'instant lui succède dans le même ordre, suivie d'une troisième, d'une quatrième, indéfiniment. Chacune de ces ondes, propagées d'un bout à l'autre, est un pas. Tant qu'elle dure, le point d'appui, c'est-à-dire l'orifice de l'intestin, reste en place, d'abord un peu en avance et puis un peu en retard sur l'élan de l'ensemble. De là résulte que la source à rosée glutineuse frôle tour à tour l'extrémité du ventre et l'extrémité du dos de la bête en marche. Voilà déposée en haut et en bas la minime gouttelette de glu.
Reste à la distribuer. C'est l'affaire de la reptation. Entre, les plis, les bourrelets que l'onde locomotrice rapproche et puis éloigne, des contacts se font, des interstices s'ouvrent, où le fluide visqueux s'insinue, de proche en proche, par capillarité. Sans aucune intervention d'une industrie particulière, le ver s'habille de glu rien qu'en cheminant. Chaque onde locomotrice, chaque pas fournit son tribut au pourpoint visqueux. Ainsi se compensent les pertes que la larve ne peut manquer de faire sur son trajet quand elle vagabonde d'un pâturage à l'autre ; ainsi, l'apport du nouveau balançant l'usure du vieux, s'obtient badigeon convenable, ni trop mince ni trop épais.
L'enduit complet est de formation rapide. De la pointe d'un pinceau, je lave un ver dans quelques gouttes d'eau. La viscosité disparaît, dissoute, et le liquide de l'ablution, évaporé sur une lame de verre, laisse une trace pareille à celle d'une faible dissolution de gomme arabique. Je mets le ver se ressuyer sur du papier buvard. Alors, touché d'un fétu de paille, il n'y adhère plus ; il a perdu son enduit.
Comment le remplacera-t-il ? C'est très simple. Quelques minutes, je laisse le ver cheminer à sa guise. Il n'en faut pas davantage : la couche visqueuse est revenue, la bête se colle au fétu, qui la touche. En somme, le vernis dont se couvre le ver du Cione est un fluide visqueux, soluble dans l'eau, d'émission prompte et de dessiccation très difficultueuse, même sous les ardeurs du soleil et l'aride haleine de la bise.
Ces données acquises, tâchons de voir comment se construit l'ampoule ou doit se faire la transformation. Le 8 juillet 1906, mon fils Paul, mon zélé collaborateur maintenant que me défaillent les bonnes jambes d'autrefois, m'apporte, de sa course matinale, une superbe girandole de Verbascum peuplée par le Cione. Les larves y abondent. Deux surtout m'agréent ; tandis que les autres stationnent et pâturent, celles-ci errent inquiètes, insoucieuses du manger. A n'en pas douter, elles sont en recherche d'un emplacement propice au travail de la nymphose.
Je les loge, chacune à part, dans un petit tube de verre qui me rendra l'observation aisée. Dans le cas où la plante nourricière leur serait utile, je les munis d'une brindille de Verbascum. Et maintenant, loupe en main, du matin au soir, puis dans la nuit autant que le permettront les lourdeurs du sommeil et la douteuse clarté d'une bougie, soyons aux aguets ; de bien curieuses choses vont se passer. Décrivons-les heure par heure.
Huit heures du matin. La larve ne fait cas du rameau que je lui ai donné. Elle chemine sur le verre, dardant deçà, delà, son avant effilé. D'une douce reptation qui fait onduler le dos et le ventre, elle cherche à s'établir commodément. En deux heures de cet exercice, que l'émission visqueuse ne peut manquer d'accompagner, elle a trouvé à son goût.
Dix heures. — Maintenant fixée sur le verre, la larve s'est raccourcie en manière de tonnelet, ou de grain de froment dont les bouts seraient arrondis. A l'un des pôles luit un point noir. C'est la tête engoncée dans un pli du premier segment. La coloration n'a pas changé, elle reste d'un jaune sale.
Une heure après midi. — Copieuse émission de fins granules noirs, suivie de déjections demi-fluides. Afin de ne pas souiller la future cabine et de préparer l'intestin à la délicate chimie qui va suivre, le ver s'expurge au préalable de ses immondices. Il est alors d'un jaune pâle uniforme, sans les nébulosités qui le déparaient au début. Il repose en plein sur toute la face ventrale.
Trois heures. — Sous l'épiderme, au dos surtout, la loupe constate de subtiles pulsations, de légers frémissements rappelant ceux d'une nappe liquide en apprêts d'ébullition. Le vaisseau dorsal lui-même, plus activement que d'habitude, se dilate, se contracte dans toute sa longueur. C'est un accès de fièvre. Un travail intime doit se préparer qui met en émoi tout l'organisme. Serait-ce un préparatif d'excoriation ?
Cinq heures. — Non, car la bête met fin à son immobilité. Elle quitte son tas d'ordures, elle se remet à véhémentement cheminer, plus inquiète que jamais. Que se passe-t-il d'insolite ? La logique aidant, il me semble l'entrevoir.
Rappelons-nous que l'enduit visqueux dont s'habille le ver ne se dessèche pas, condition indispensable à la liberté des mouvements. Converti en vernis sec, en pellicule aride, il entraverait, il arrêterait la reptation ; maintenu fluide, c'est la goutte d'huile qui graisse la machine locomotrice. Cette couche d'humeur sera cependant la matière de l'ampoule à nymphose ; le coulant deviendra baudruche, le liquide se fera solide.
Ce changement d'état fait d'abord songer à une oxydation. Il convient de renoncer à cette idée. Si le durcissement était, en effet, le résultat d'une oxydation, le ver, visqueux dès sa naissance et toujours exposé à l'air, serait depuis longtemps vêtu, non d'une fine tunique de glu, mais d'un rigide étui de parchemin. La dessiccation, c'est de pleine évidence, doit s'effectuer aux derniers moments et de façon rapide, lorsque le ver se prépare à changer de forme. Avant, cette dessiccation serait un péril ; maintenant, elle est un bon moyen de défense.
Pour solidifier les peintures à l'huile de lin, notre industrie fait emploi de siccatifs, c'est-à-dire d'ingrédients qui agissent sur l'huile, la résinifient et lui donnent consistance. Le Cione a pareillement son siccatif, les faits qui vont suivre le prouvent. Par un changement profond dans la marche de son officine organique, c'est peut-être à ce produit desséchant que travaillait le ver lorsque ses pauvres chairs frémissaient de fiévreux tressaillements ; c'est à la diffusion du siccatif sur toute la surface du corps qu'il vient de procéder à la faveur d'une longue promenade, la dernière de la vie larvaire.
Sept heures. — La larve s'immobilise de nouveau, couchée à plat sur le ventre. Est-ce la fin des préparatifs ? Pas encore. Il faut une fondation à l'édifice globulaire, une base où le ver puisse prendre appui pour gonfler son ampoule.
Huit heures. — Autour de la tête et de l'avant de la poitrine, en contact avec la lame de verre comme le reste du corps, maintenant apparaît un liséré d'un blanc pur, comme s'il avait neigé en ces points. Cela forme une sorte de fer à cheval cernant une aire où le dépôt neigeux se continue en vague nébulosité. De la base de ce liséré s'irradient en brefs pinceaux des filaments de la même matière blanche. Cette structure dénote un travail de la bouche, un menu travail de filière. Et en effet, nulle autre part qu'autour de la tête ne se montre pareille matière blanche. Les deux pôles de la bête prennent donc part à la confection de l'habitacle ; celui d'avant fournit les fondements, celui d'arrière fournit l'édifice.
Dix heures. — La larve se raccourcit. De son point d'appui, c'est-à-dire de la tête ancrée sur le coussinet neigeux, elle rapproche un peu l'arrière ; elle se boucle, fait le gros dos, petit à petit se conglobe en sphérule. Sans être discernable encore, l'ampoule se prépare. Le siccatif a produit son effet, la viscosité primitive s'est transmutée en une sorte d'épiderme, assez souple en ce moment pour se distendre sous une poussée de l'échine. Lorsque la capacité sera assez grande, le ver se décollera de son enveloppe et se trouvera libre dans une enceinte spacieuse.
Je tiendrais à voir cette décortication, mais les choses se passent avec une désespérante lenteur. Il se fait tard. Le sommeil et la fatigue m'accablent. Allons dormir. Ce que j'ai vu suffit à faire deviner le peu qui reste à voir.
Le lendemain, lorsque les blancheurs de l'aube donnent éclairage suffisant, j'accours à mes larves. L'ampoule est terminée. C'est un gracieux ovoïde en baudruche extra-fine, sans adhérence aucune avec la bestiole incluse. La confection en a duré une vingtaine d'heures. Il reste à la consolider au moyen d'une doublure. La transparence de la muraille permet de suivre l'opération.
On voit la petite tête noire du ver monter et descendre, obliquer de par-ici et de par-là, et de temps à autre cueillir des mandibules, sur le seuil de l'intestin, une parcelle de mastic, aussitôt mise en place et minutieusement lissée. Point par point, à petits coups, ainsi se crépit l'intérieur de la cabine. Crainte de mal voir à travers la paroi, je tronque une ampoule, je mets la larve partiellement à découvert. L'ouvrage se poursuit sans grande hésitation. L'étrange méthode est d'une évidence qui ne laisse rien à désirer. Le ver exploite son derrière comme entrepôt de ciment consolidateur ; la terminaison intestinale est pour lui l'équivalent du baquet où le maçon puise sa truelle de mortier.
Cette originale façon d'opérer m'est connue. Autrefois, un gros Charançon, le Larin maculé, hôte du chardon à têtes bleues (Echinops Ritro), m'a rendu témoin de semblable industrie. Lui aussi fiente son mastic. Du bout des mandibules, il le cueille sur l'orifice évacuateur ; il le met en place avec une stricte économie. Il a d'ailleurs d'autres matériaux à son service : les poils, des débris de fleurettes de son chardon. Son mastic ne sert qu'à cimenter, à glacer l'ouvrage. De son côté, le ver du Cione n'utilise rien autre que le suintement de son intestin ; aussi la cabine obtenue est-elle d'une perfection hors ligne.
Outre le Larin maculé, mes notes mentionnent d'autres Charançons, par exemple celui de l'ail (Brachycerus algirus), qui savent crépir leur cellule avec un fin enduit fourni par le derrière. Cet art intestinal paraît donc d'usage assez fréquent parmi les Curculionides constructeurs de chambrettes où doit se faire la transformation ; mais nul n'y excelle autant que le Cione. Son travail gagne en outre en intérêt si l'on considère que dans la même usine, à peu d'intervalle, s'élaborent trois produits différents : d'abord une glu fluide, moyen d'adhérence sur le branlant appui du Verbascum battu des vents ; puis une humeur siccative qui change l'enduit visqueux en membrane de baudruche ; enfin un mastic qui renforce l'ampoule séparée de la bête par une sorte d'excoriation épidermique. Quel laboratoire, quelle délicate chimie dans un bout d'intestin !
A quoi bon ces minutieux détails heure par heure ? Pourquoi ces puérilités ? Que nous importe l'industrie d'un ver infime, à peine connu même des gens du métier ?
Eh bien, ces puérilités touchent aux plus graves questions qu'il nous soit donné d'agiter. Le monde est-il oeuvre harmonique, régie par un ressort primordial, cause des causes ? Est-il, au contraire, un chaos de conflits aveugles dont les poussées réciproques, vaille que vaille, au hasard, s'équilibrent ? C'est à sonder scientifiquement ces bagatelles et autres semblables que peuvent servir, mieux que ne le font les syllogismes, les minuties entomologiques scrutées un peu à fond. Pour ma part, l'humble Cione nous affirme un ressort primordial, moteur des plus petites comme des plus grandes choses.
Une journée n'est pas de trop pour donner bonne doublure à l'ampoule. Le lendemain, la larve se dépouille, passe à l'état de nymphe. Achevons son histoire avec des données glanées dans la campagne. Les coques à nymphose se trouvent fréquemment sur les herbages voisins de la plante nourricière, sur les chaumes et les feuilles mortes des graminées. En général cependant elles occupent les menus rameaux du Verbascum, dépouillés de leur écorce et desséchés. En septembre, un peu plus tôt, un peu plus tard, il en sort l'insecte adulte.
La capsule de baudruche ne se déchire pas au hasard, de façon irrégulière ; elle se divise nettement en deux parties égales, rappelant les deux calottes d'une boîte à savonnette. Est-ce l'insecte inclus qui, de sa dent patiente, a rongé l'enveloppe et pratiqué une fissure suivant l'équateur ? Non, car les bords de l'un et de l'autre hémisphère sont d'une parfaite netteté. Il y avait donc, là une ligne circulaire toute prête pour une facile déhiscence. Il a suffi à l'insecte de faire le gros dos et de pousser un peu pour desceller tout d'une pièce la voûte de sa cabine et se libérer.
Cette ligne de facile rupture, je parviens à la voir sur certaines capsules, intactes. C'est un trait subtil cernant l'équateur. Comment fait l'insecte pour préparer de la sorte la déhiscence de sa loge ? Une humble plante printanière, l'Anagallis, à fleurs écarlates ou azurées, a pareillement sa boite à savonnette, sa pyxide, d'éclatement aisé en deux hémisphères, lorsque doit se faire la dissémination des graines. De part et d'autre, c'est l'ouvrage d'une savante inconscience. Pas plus que l'Anagallis, le ver ne combine ses plans ; il arrive à l'ingénieux assemblage par la seule inspiration de l'instinct.
Plus nombreuses que les capsules à déhiscence correcte, d'autres se trouvent grossièrement percées d'une brèche informe. Par là doit être sorti quelque parasite, un brutal qui, ne connaissant pas le secret du fin assemblage, s'est libéré en déchirant la baudruche. En des cellules non encore trouées, je rencontre sa larve. C'est un vermisseau blanc fixé sur un lardon bruni, restes de la nymphe du Cione. L'intrus achève de humer et de tarir le maître de céans, tout tendre encore, à chairs naissantes. Je crois reconnaître dans l'égorgeur un bandit de la tribu des Chalcidiens, coutumiers de pareils massacres.
Son aspect et sa ripaille ne me trompent pas en effet. Mes bocaux d'éducation me donnent, en abondance, un petit Chalcidien couleur de bronze, à tête large, à ventre cercliforme et pointu, sans tarière visible. M'informer de son nom auprès des maîtres en la matière me sourit médiocrement. Je ne demande pas à la bête : « Comment t'appelles-tu ? » Je lui demande : « Que sais-tu faire ? »
Le parasite anonyme éclos dans mes bocaux n'a pas d'instrument analogue à celui du Leucospis, chef de file des Chalcidiens ; il n'a pas de sonde capable de traverser une enceinte et de conduire l'oeuf à distance sur la pièce alimentaire. Son germe a donc été déposé dans les flancs mêmes du ver du Cione avant que ce dernier n'eût construit sa coque.
Les méthodes de ces minimes brigands préposés à l'émondage du trop nombreux sont des plus variées. Chaque corporation a la sienne, toujours d'une effroyable efficacité. En quoi le Cione, si petit, encombrerait-il le monde ? N'importe, il doit être jugulé et périr dans son berceau, victime du Chalcidien. Comme les autres, il doit, lui le nain, le placide, fournir sa part de matière organisable, qui s'affinera de mieux en mieux en passant d'un estomac à l'autre.
Récapitulons les moeurs du Cione, moeurs bien singulières chez un insecte de la série des Charançons. La mère confie sa ponte aux capsules naissantes du Verbascum sinué. Jusque-là tout est correct. D'autres, Curculionides, en effet, affectionnent, pour l'établissement des fils, les coques de tel et de tel autre Verbascum, celles aussi de la Scrofulaire et du Muflier, plantes de la même famille botanique. Mais voici que l'exceptionnel, l'étrange, tout aussitôt apparaît. La mère Cione fait choix du Verbascum dont les capsules sont les moindres, lorsque dans le voisinage et dans la même saison d'autres se trouvent chargés de fruits dont la grosseur fournirait copieuse nourriture et gîte spacieux ; elle préfère la disette à l'abondance, l'étroitesse à l'ampleur.
Elle fait pire. Insoucieuse de laisser provende à sa nitée, elle mordille les tendres semences, les détruit, les extirpe, afin d'obtenir une niche au sein de l'infime globule. Là-dedans, elle insinue une demi-douzaine d'oeufs, plus ou moins. Avec ce qui reste de comestible, le logis entier serait-il consommé, il n'y a pas de quoi nourrir un seul vermisseau.
Lorsque la huche n'a pas de pain, la maison se déserte. Eclos du jour, les jeunes abandonnent donc la famélique demeure. Audacieux révolutionnaires, ils entreprennent ce qui est une abomination parmi les Curculionides, tous casaniers par excellence ; ils affrontent les périls du dehors, ils voyagent, ils courent le monde d'une feuille à l'autre, en quête du manger. Cet exode étrange, inavouable pour un Charançon, n'est pas un coup de tête, mais une nécessité imposée par la disette ; on émigre parce que la mère s'est désintéressée de l'alimentation.
Si le voyage a ses agréments capables de faire oublier les douceurs de la niche où tranquillement on digère, il a ses désavantages aussi. Le ver, privé de pattes, ne progresse qu'au moyen d'une vague reptation. Chez lui, nul outil d'adhérence qui permette station fixe sur le rameau, d'où le moindre vent peut faire choir. Le besoin est ingénieux. Pour parer aux périls de chute, le promeneur s'enduit d'une humeur visqueuse, qui le vernit et le colle sur la voie parcourue.
Ce n'est pas tout. Lorsque vient l'heure délicate de la nymphose, un abri est indispensable où le ver puisse se transformer en paix. Le vagabond n'a rien ; il n'est pas domicilié, il loge à la belle étoile ; mais, il sait, au moment requis, se confectionner une tente capsulaire dont l'intestin lui fournit les matériaux. Aucun autre de son ordre ne sait édifier semblable demeure. Souhaitons-lui que l'odieux Chalcidien, juguleur de nymphes, ne le visite pas dans son joli tabernacle.
Chez le ver hôte du Verbascum sinué, c'est, on le voit, une révolution profonde dans les usages de la gent Charançon. Pour mieux en juger, consultons une espèce voisine, rangée non loin du Cione par les classificateurs ; comparons les deux genres de vie, d'une part l'exception et d'autre part la règle. La comparaison aura d'autant plus de mérite que le nouveau témoin exploite, lui aussi, un Verbascum. On le nomme Gymnetron thapsicola Germ.
Costume en bure roussâtre, corps rondelet, taille comparable à celle du Cione, voilà le sujet. Remarquons le qualificatif thapsicola, habitant du thapsus. Cette fois, et je m'en réjouis, le terme est des plus heureux ; il met le novice en mesure d'arriver exactement à l'insecte sans autre donnée que celle de la plante nourricière.
La botanique appelle Verbascum thapsus le vulgaire Bouillon blanc, ami des cultures champêtres aussi bien dans le nord que dans le midi. Son inflorescence, au lieu de se ramifier comme celle du Verbascum sinué, consiste en une seule et dense quenouille de fleurs jaunes. A ces fleurs succèdent, serrées l'une contre l'autre, des capsules du volume à peu près d'une moyenne olive. Ce ne sont plus les mesquines coques où le ver du Cione périrait de famine s'il ne les abandonnait aussitôt éclos ; ce sont des coffres riches de vivres pour une larve et même pour deux. Une cloison la divise en deux compartiments égaux, bourrés l'un et l'autre de semences.
La fantaisie m'est venue d'évaluer approximativement le trésor séminal du Bouillon-blanc. Dans une seule coque j'ai compté jusqu'à trois cent vingt et une graines. Or une quenouille de dimensions ordinaires comprend cent cinquante capsules. Le total des graines est alors de quarante-huit mille. Que veut faire la plante de telle prodigalité ? La part faite au petit nombre de semences réclamé par le maintien prospère de l'espèce, il est visible que le Bouillon-blanc est un amasseur d'atomes nutritifs ; il crée du comestible, il appelle des convives à son opulent banquet.
Au courant de ces choses, le Gymnetron, dès le mois de mai, visite la plantureuse quenouille ; il y installe ses vers. Les capsules peuplées se reconnaissent au point brun qui fait tache à la base. C'est le pertuis foré par le rostre de la pondeuse, l'ouverture nécessaire à l'introduction des oeufs. Habituellement il y en a deux, correspondant à l'une et l'autre loge du fruit. Bientôt les suintements de la loge se figent, se dessèchent en obstruant la subtile lucarne, et la capsule se retrouve close, sans communication aucune avec l'extérieur.
En juin et juillet, ouvrons les coques marquées de stigmates bruns. Presque toujours il y a deux larves grassouillettes, d'aspect beurré, renflées en avant, rétrécies en arrière et courbées en virgule. Nul vestige de pattes, organes fort inutiles en pareil logis. Couché à son aise, le ver a sous la dent nourriture copieuse, d'abord les semences tendres et sucrées, puis le placenta, support commun des graines, charnu pareillement et de haut goût. En de telles conditions, il fait bon vivre, immobile, tout entier aux félicités du ventre.
Il faudrait un cataclysme pour déranger le béat ermite. Ce cataclysme, je le provoque en ouvrant la cellule. Aussitôt le ver s'agite, frétille désespéré, tant lui est odieux l'accès de l'air et de la lumière. Il lui faut au-delà d'une heure pour revenir de son émotion. En voilà un qui certainement ne sera jamais tenté de sortir de chez lui et d'aller vagabonder comme le fait le ver du Cione. Il est au plus haut degré casanier par hérédité de famille, et casanier il restera.
Il refuse même de voisiner de porte à porte. Dans la même capsule, de l'autre côté de la cloison, un confrère grignote. Jamais il ne le visite, ce qui lui serait facile en perçant la cloison, en ce moment véritable gâteau non moins tendre que les graines et le placenta. Dans la capsule, part à deux inviolable. De ce côté-ci demeure le premier, de ce côté-là demeure le second, et jamais entre eux la moindre relation par le vasistas d'une lucarne. Chacun chez soi.
Il est tellement heureux dans sa loge qu'il y séjourne très longtemps après avoir pris la forme adulte. De dix mois sur douze, il n'en sort pas. En avril, lorsque se gonflent les boutons des tiges nouvelles, il perce la capsule natale, devenue robuste donjon ; il vient aux joies du soleil sur les quenouilles récentes, de jour en jour plus longues et plus fleuries ; il s'ébaudit par couples, puis établit en mai sa famille, qui répétera obstinément les usages sédentaires des aînés.
Avec ces données, philosophons maintenant un peu. Tout Charançon passe la vie larvaire au point où l'oeuf a été déposé. Diverses larves, il est vrai, lorsque s'approche le moment de la transformation, émigrent et descendent en terre. Le Brachycère abandonne son bulbille d'ail, le Balanin, sa noisette, son gland ; le Rhynchite, son cigare en feuille de vigne, de peuplier ; le Ceutorhynque, son trognon de chou. Mais ces désertions de vers parvenus à leur pleine croissance n'infirment en rien la loi : toute larve de Curculionide grandit aux lieux mêmes de sa naissance.
Or voici que, par un revirement des plus inattendus, la larve de Cione quitte, toute jeune, le logis natal, la capsule du Verbascum ; il lui faut le dehors, le pâturage à l'air libre sur l'écorce d'un rameau, ce qui lui impose deux industries inconnues partout ailleurs : le pourpoint de viscosité donnant appui stable à la promeneuse, et l'ampoule de baudruche servant de cabine à la nymphe.
D'où provient cette aberration ? Deux idées se présentent, l'une basée sur la décadence, l'autre sur le progrès. On se dit : la mère Cione jadis, dans le recul des âges, suivait les règlements de sa tribu. Comme les autres Curculionides grugeurs de semences non mûres, elle affectionnait les grosses capsules, suffisantes à l'alimentation d'une famille sédentaire. Plus tard, par inadvertance, étourderie ou tout autre motif, elle s'est adressée à l'avare Verbascum sinué. Fidèle aux antiques usages, elle a bien choisi pour domaine une plante pareille de genre à celle qu'elle exploitait d'abord ; mais, par malchance, il se trouve que le Verbascum adopté n'est pas capable de nourrir un seul ver dans son fruit trop petit. De l'ineptie de la mère est venue la décadence ; la périlleuse vie errante a remplacé la tranquille vie sédentaire. L'espèce est en voie d'extinction.
On pourrait dire encore : au début, le Cione avait pour lot le Verbascum sinué ; mais, les vers se trouvant mal de pareille installation, la mère est en recherche d'un établissement meilleur. De lents essais l'y amèneront un jour. De temps à autre, je la rencontre, en effet, sur le Verbascum maïale et sur le Verbascum thapsus, l'un et l'autre à grosses capsules ; seulement elle est là par hasard, en excursion, occupée de bonnes lampées, et non de ponte. L'avenir l'y fixera tôt ou tard en vue de la famille. L'espèce est en voie d'amélioration.
En assaisonnant l'affaire de termes rébarbatifs, bons à dissimuler le vague de l'idée, on pourrait présenter le Cione comme un superbe exemple des changements apportés par les siècles, dans les moeurs de l'insecte. Ce serait très savant, mais serait-ce bien clair ? J'en doute. Lorsqu'il me tombe sous les yeux une page hérissée de locutions barbares, dites scientifiques, je me dis : « Prends garde ! l'auteur ne possède pas bien ce qu'il dit, sinon il aurait trouvé, dans le vocabulaire qu'ont martelé tant de bons esprits, de quoi formuler nettement sa pensée. »
Boileau, à qui l'on dénie le souffle poétique, mais qui certes avait du bon sens, et beaucoup, nous dit :
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement.
Parfait, Nicolas ! Oui, de la clarté, toujours de la clarté. Il appelle chat un chat. Faisons comme lui : appelons charabia une prose savantissime, donnant à répéter la boutade de Voltaire : « Lorsque celui qui écoute ne comprend pas, et que celui qui parle ne sait pas lui-même ce qu'il dit, alors on fait de la métaphysique. » Ajoutons : « Et de la haute science. »
Bornons-nous a poser le problème du Cione, sans grand espoir qu'il soit un jour clairement résolu. D'ailleurs, à vrai dire, il n'y a peut-être pas de problème. Le ver du Cione est vagabond d'origine, et vagabond il restera, au milieu des autres Curculionides, tous essentiellement casaniers. Tenons-nous-en là ; c'est le plus simple et le plus clair.
source : Souvenirs entomologiques, Jean-Henri FABRE, 1907, Xème Série, Chapitre 5.