AURORE. — Deux fabricants de papier de la petite ville d'Annonay, dans l'Ardèche, les frères Montgolfier, conçurent les premiers l'idée de s'élever dans l'atmosphère à l'aide d'un immense globe de toile, doublé de papier et rempli d'air chaud.
L'ascension d'un ballon est devenue aujourd'hui chose si commune, qu'il n'est guère de localité où cette belle expérience ne soit connue. Au milieu d'un cercle de spectateurs gît à terre un amas informe de toile enchevêtré de cordages. On allume quelques brassées de paille, et, au-dessus de la flamme, on présente l'orifice d'une espèce d'immense bourse que forme cette toile. Voilà que la bourse se déploie, s'emplit d'air chaud, se gonfle et finit par étaler ses flancs rebondis. C'est maintenant une vaste machine, qui se balance mollement dans l'air, retenue prisonnière par des mains vigoureuses. Sa forme est celle d'une poire dont la pointe, largement ouverte, est en bas, au-dessus de la paille qui flambe. Un réseau de cordelettes l'enveloppe dans sa partie supérieure. De ce réseau, vers le milieu du ballon, partent d'autres cordes qui pendent au-dessous de l'orifice et se rattachent à une grande corbeille d'osier appelée nacelle. Tout est prêt : l'aéronaute se met dans la nacelle avec tous les engins dont il peut avoir besoin dans son voyage ; et, à un signal donné, les gens qui retiennent le ballon le lâchent à la fois. Le voilà parti... Un frisson court parmi les spectateurs. Le ballon s'élève majestueusement ; le voilà par-dessus les toits, le voilà par-dessus le clocher de l'église. Encore quelques instants, et il aura atteint la région des nuages. L'audacieux voyageur salue cependant du haut des airs.
CLAIRE. — L'an dernier, on fit partir un ballon, le jour de la fête du village. Il était simplement en papier et non en toile.
AURORE. — Quand le ballon ne doit pas emporter des gens dans sa nacelle, on se borne à le faire en papier, ce qui est moins coûteux ; mais si quelqu'un doit faire le périlleux voyage, le ballon est en toile pour plus de solidité.
CLAIRE. — Il y avait sous le ballon de papier que j'ai vu partir une petite corbeille de fil de fer pleine d'étoupes enflammées.
AURORE. — C'était pour continuer à chauffer, pendant l'ascension, l'air du ballon et maintenir celui-ci plus longtemps en l'air.
MARIE. — Je ne comprends pas encore pourquoi le ballon monte.
AURORE. — Vous allez le comprendre. Si l'on descendait une boule de bois profondément dans l'eau, et qu'après on l'abandonnât à elle-même, que ferait la boule ?
MARIE. — Le bois étant plus léger que l'eau, la boule remonterait tout aussitôt.
AURORE. — Ainsi fait l'air chaud du ballon : il monte parce qu'il est plus léger que l'air froid environnant.
MARIE. — Mais le ballon lui-même, sa toile, sa nacelle, l'aéronaute, tout cela est bien plus lourd que l'air ?
AURORE. — Certainement. Une balle de plomb est aussi plus lourde que l'eau ; jamais d'elle-même elle ne remonterait du' fond à la surface. Cependant, si elle est attachée à une boule de bois assez grosse, elle remonte très-bien, entraînée par le bois. De la même manière monte la nacelle avec sa charge : elle est entraînée par l'air chaud, pourvu que celui-ci soit en quantité suffisante.
MARIE. — C'est moins difficile que je ne le croyais. Chauffé par la flamme de la paille, l'air du ballon devient plus léger et s'élève, emportant avec lui la nacelle et son contenu.
AURORE. — Les premières expériences des frères Montgolfier, faites dans le midi de la France, à Annonay et à Avignon, eurent bientôt un grand retentissement. Chacun prenait un vif intérêt à leur tentative de se frayer une route dans les airs. Un essai mémorable eut lieu à Versailles, le 19 septembre 1783, en présence du roi Louis XVI. Personne n'osant encore se confier à la nouvelle machine, qu'on appelait montgolfière, du nom des inventeurs, on suspendit au ballon une cage contenant un mouton, un coq et un canard. Ces premiers voyageurs aériens revinrent sains et saufs ; l'ascension et la descente se firent sans accident.
AUGUSTINE. — J'ai assez bien compris pourquoi le ballon monte ; mais comment se fait la descente ?
AURORE. — Elle se fait toute seule. L'air du ballon ne se conserve pas toujours chaud ; il se refroidit peu à peu et par conséquent redevient plus lourd. A mesure que le refroidissement le gagne, le ballon augmente de poids et descend. Voilà pourquoi, si l'on veut qu'il reste plus longtemps en l'air, on allume du feu à son entrée.
Le mouton, le coq et le canard, vous disais-je, revinrent sains et saufs de leur voyage. Bientôt après, deux hardis jeunes gens, Pilâtre des Rosiers et le marquis d'Arlandes, s'aventurèrent dans la nacelle. Le ballon, retenu à l'aide d'une longue corde, s'éleva, à plusieurs reprises, à une centaine de mètres de hauteur. La réussie de cette entreprise les encouragea, et, le 20 novembre 1783, les deux aventureux jeunes gens s'élevèrent dans une montgolfière libre de toute attache. Le ballon traversa Paris dans toute sa largeur, aux acclamations enthousiastes de la foule, et, sans accident, descendit au bout d'un quart d'heure à deux lieues du point de départ. Pilâtre des Rosiers devait bientôt payer de sa vie son effrayante témérité. Il résolut de traverser en ballon le bras de mer qui sépare la France de l'Angleterre ; mais, quelques instants après le départ, le ballon se déchira, et l'aéronaute, précipité du haut des airs, périt fracassé sur la plage.
CLAIRE. — Pauvre jeune homme ! Quelle imprudence de vouloir ainsi traverser la mer !
AURORE. — Ce voyage, qui fut si fatal à Pilâtre des Rosiers, d'autres l'ont fait après lui, mais avec des ballons mieux construits. Les ballons à air chaud ne sont plus maintenant employés par les aéronautes, car, à moins d'avoir un volume énorme, ils ne peuvent emporter qu'une charge assez faible, le poids de l'air chaud ne différant pas assez de celui de l'air froid. Ils présentent, en outre, le danger d'être incendiés d'un moment à l'autre par le feu qu'il faut entretenir au-dessous pour maintenir l'air chaud, quand le voyage aérien doit durer quelque temps. A la toile doublée de papier des montgolfières on a substitué du taffetas vernissé ; et l'air chaud a été remplacé par un gaz nommé hydrogène, qui est quatorze fois plus léger que l'air. Les ballons ainsi construits se nomment aérostats. L'aéronaute emporte avec lui dans la nacelle des sacs de sable appelés lest. Enfin la partie supérieure du ballon est munie d'une soupape que l'aéronaute ouvre ou ferme à volonté, au moyen d'un cordon qui pend à sa portée. Lorsqu'il veut descendre, il ouvre la soupape : une partie de l'hydrogène s'échappe pour faire place à de l'air, et le ballon, devenu ainsi plus lourd, descend lentement. C'est alors que le lest peut être d'une grande utilité. Si le ballon, en arrivant dans le voisinage de la terre, se trouve au-dessus d'un lieu dangereux, d'un fleuve, d'une forêt, d'un précipice, l'aéronaute doit remonter un peu pour aller plus loin opérer sa descente en un endroit propice. Il remonte en rejetant une partie de sa provision de sable hors de la nacelle. Le ballon allégé remonte aussitôt. C'est de la sorte que l'aéronaute, tant qu'il a du lest à sa disposition, peut choisir le lieu de sa descente.
CLAIRE. — On ne peut donc pas conduire le ballon là où l'on veut ?
AURORE. — Nullement. Le ballon va où le vent le pousse, sans qu'il soit possible à l'aéronaute de choisir la direction
source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874