Puisque nos arbres fruitiers et nos plantes ornementales retournent par le semis à l'état sauvage, comment faire alors pour les propager sans crainte de les voir dégénérer ? Il faut recourir à la greffe, au marcottage, au bouturage, inappréciables ressources qui nous permettent de stabiliser dans le végétal la perfection obtenue par de longues années de travail, et de profiter des améliorations déjà obtenues par nos devanciers, au lieu de recommencer nous-mêmes une éducation il laquelle une vie humaine ne suffirait pas.
On nomme bouturage le procédé de multiplication qui consiste à détacher un rameau de la plante mère et à le placer dans des conditions où il puisse développer des racines et vivre à ses propres frais. Le rameau détaché prend le nom de bouture. Par son extrémité amputée, la bouture est mise en terre, en un lieu frais, ombragé, où l'évaporation soit lente et la température douce. L'abri d'une cloche en verre est souvent indispensable, pour maintenir l'air, autour du rameau, dans un état convenable d'humidité, et empêcher la bouture de se dessécher avant d'avoir acquis les racines qui lui permettront de réparer ses pertes. Pour plus de sûreté, si le rameau est très-feuillé, on enlève la majeure partie des feuilles inférieures, afin de réduire autant que possible les surfaces d'évaporation, sans compromettre la vitalité du plant. qui réside surtout dans la partie supérieure. L'extrémité plongée dans le sol humide ne tarde pas à s'enraciner désormais le rameau se suffit à lui-même et forme un plant indépendant. L'abri de la cloche doit être alors supprimé.
Les végétaux à bois tendre, gorgé de suc, sont ceux qui prennent bouture avec le plus de facilité ; tel est le pélargonium, habituel ornement de nos parterres. Les végétaux à bois compact et dur sont, au contraire, de reprise très-difficultueuse, impossible même. Ainsi le bouturage échouerait avec le chêne et le buis.
Quelques plantes, et de ce nombre est l'œillet, poussent, à la base de la tige mère, des ramifications droites et souples qui peuvent servir à obtenir autant de plants nouveaux. On couche ces rameaux en leur faisant décrire un coude que l'on fixe dans la terre avec un crochet puis on redresse l'extrémité, que l'on maintient verticale avec l'appui d'une baguette ou tuteur. Le coude enterré pousse tôt ou tard des racines, et d'ici là la souche mère nourrit les rameaux. Lorsque les parties enterrées sont suffisamment enracinées, on tranche les ramifications, et chacune d'elles, transplantée à part, est désormais un plant distinct. Cette opération se nomme marcottage, et les divers plants détachés de la souche première se nomment marcottes. Le succès par ce procédé est mieux assuré que par le bouturage, qui, sans préparation aucune, prive brusquement le rameau de la nourriture fournie par la tige, et l'oblige à se suffire immédiatement il lui-même.
D'autres végétaux, le laurier-rose, par exemple, n'ont pas assez de flexibilité dans leurs ramifications pour se prêter au couchage en terre, tel que je viens de vous le décrire ; la branche casserait si l'on essayait de la couder. Quelquefois enfin la ramification est située trop haut. Alors un pot fendu en long ou bien un cornet de plomb est appendu à l'arbuste, et la branche à marcotter est placée dans le pot ou le cornet suivant son axe. Le pot est ensuite rempli de terreau ou de mousse, que l'on maintient humide par de fréquents arrosements. Dans ce milieu toujours frais, des racines, tôt ou tard, apparaissent. On procède alors au sevrage du rameau c'est-à-dire qu'on fait au-dessous du pot ou du cornet une légère entaille qu'on approfondit davantage chaque jour. On ainsi pour but d'habituer peu à peu la plante à se passer de la tige mère et à vivre par elle-même. Enfin on achève la séparation. Ce sevrage graduel est pareillement utile pour les marcottes couchées en terre il assure le succès de l'opération.
Greffer, c'est transplanter un bourgeon ou un rameau d'un végétal sur un autre. L'arbre sur lequel se fait la transplantation prend le nom de sujet ; et le rameau ou le bourgeon qu'on y implante celui de greffe. Examinons en quoi consiste la précieuse opération.
Un mauvais poirier est dans votre jardin, venu de semis ou apporté de son bois natal. Vous voulez lui faire produire de bonnes poires. On tranche net la tête du sauvageon, et dans le tronçon en terre on fait une profonde entaille. Puis on prend, sur un poirier d'excellente qualité, un rameau muni de quelques bourgeons. On taille son extrémité inférieure en biseau et l'on implante la greffe dans la fente du sujet, bien exactement écorce contre écorce, bois contre bois. Enfin on lie le tout et l'on recouvre les plaies de mastic, ou, à son défaut, d'argile maintenue en place avec quelques linges. A l'abri du mastic qui les préserve du contact de l'air, les plaies se cicatrisent, le rameau soude son écorce et son bois à l'écorce et au bois de la tige amputée. Bientôt les bourgeons de la greffe, alimentés par le sujet, se développent en ramifications ; et, au bout de quelques années, la tête de poirier sauvage est remplacée par une tête de poirier produisant de bonnes poires, comme l'arbre qui a fourni la greffe. Telle est la greffe en fente.
Vous avez donné asile dans votre parterre à un églantier, le vulgaire rosier sauvage, qui végétait pauvrement au bord du chemin en compagnie de la ronce. L'arbuste n'est pas beau. Au fond, c'est bien le rosier pour la tige, les épines, les feuilles, les fruits ; mais quelles tristes roses cinq pétales, ni plus ni moins, pâles, à peine teintées d'incarnat, sans odeur. Il s'agit de faire produire à l'arbuste la splendide rose à cent feuilles. Au printemps ou en automne, on incise l'écorce du sauvageon d'une double entaille en forme de T, pénétrant jusqu'au bois et l'on soulève un peu les deux lèvres de la blessure. On détache alors, sur un rosier à belles fleurs, un lambeau d'écorce munie d'un bourgeon, lambeau qu'on nomme écusson. On a le soin de bien enlever le bois qui pourrait adhérer à la face intérieure de l'écusson, tout en respectant l'écorce, la couche verdâtre surtout. Enfin l'on introduit l'écusson entre l'écorce et le bois du sujet ; on rapproche les lèvres de la plaie au moyen d'une ligature, de manière que l'écusson soit bien appliqué contre le bois du sujet ; et c'est fini. Dans peu de temps, l'églantier se couvre de roses à cent feuilles. C'est ce qu'on nomme la greffe en écusson.
La greffe ne peut se faire qu'entre végétaux de même espèce, ou d'espèces très-rapprochées, afin que le bourgeon et le rameau transplantés trouvent, auprès de la nouvelle branche nourricière, l'alimentation qui leur convient. On perdrait son temps à vouloir greffer le lilas sur le rosier, le rosier sur l'oranger. Il n'y a rien de commun entre ces trois espèces végétales, ni dans les feuilles, ni dans les fleurs, ni dans les fruits. De cette différence de structure résulte infailliblement une différence profonde de nutrition. Le bourgeon de rosier périrait donc affamé sur une branche de lilas, le bourgeon de lilas en ferait autant sur une branche de rosier. Mais on peut très-bien greffer lilas sur lilas, rosier sur rosier, oranger sur oranger.
Il est possible encore de faire nourrir un bourgeon d'oranger par un citronnier, un bourgeon de pêcher par un abricotier, un bourgeon de cerisier par un prunier, et réciproquement ; car il y a entre ces végétaux, pris deux à deux, une étroite ressemblance. Il faut en somme, pour la réussite de la greffe, la plus grande analogie possible entre les deux végétaux. On est loin d'avoir toujours des idées nettes sur cette absolue nécessité de la ressemblance d'organisation. J'ai entendu parler de rosiers greffés sur le houx pour obtenir des roses vertes, de vignes greffées sur le noyer pour avoir des raisins a grains énormes, pareils en volume à des noix. De telles greffes, et d'autres encore entre végétaux non semblables, n'ont jamais existé que dans l'imagination de ceux qui les ont rêvées.
source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874