AURORE. — Quand on étale sur des cordes le linge qu'on vient de laver, que se propose-t-on ? De faire sécher le linge, de faire partir l'eau dont il est imbibé. Eh bien, cette eau que devient-elle, s'il vous plaît ?

CLAIRE. — Elle s'en va, je le sais mais je serais fort embarrassée de dire ce qu'elle devient.

AURORE. — Cette eau se dissémine dans l'air, s'y dissout et devient invisible comme l'air lui-même. Quand on mouille un tas de sable aride, l'eau s'y insinue de partout et disparaît. Il est vrai que le sable prend alors un aspect différent : il était sec avant, il est humide après. Le sable boit l'eau en contact avec lui. Ainsi fait l'air : il boit l'humidité du linge en devenant lui-même humide ; et il la boit si bien, que le tout, air et eau, reste invisible comme si l'air ne renfermait rien d'étranger.

On appelle vapeur l'eau devenue invisible, en quelque sorte aérienne, c'est-à-dire semblable à l'air ; et la réduction de l'eau en ce nouvel état se nomme évaporation. L'humidité du linge que l'on fait sécher s'évapore ; l'eau s'insinue dans l'air et devient ainsi vapeur invisible, qui se répand en tous sens au gré des vents.

L'évaporation est d'autant plus prompte, plus abondante, qu'il fait plus chaud. Vous avez toutes remarqué qu'un mouchoir mouillé se sèche très-vite par un soleil ardent, et ne perd son humidité qu'avec une lenteur extrême si le temps est couvert et froid. Rappelez-vous encore ce qui se passe après l'arrosage du jardin. C'est bien une telle affaire quand, vers la fin d'une journée très-chaude, il s'agit de faire boire ces pauvres plantes qui se meurent de soif. Chacune de vous s'empresse avec son arrosoir qui va d'ici, qui va de là, distribuant de l'eau aux plantes souffreteuses. Bientôt le jardin a copieusement bu. Comme c'est frais alors, comme les plantes fanées par la chaleur reprennent vigueur et se redressent heureuses ! On croirait les entendre chuchoter entre elles et se raconter les félicités de l'arrosage. Si cela pouvait se maintenir ainsi ! Mais bah ! le lendemain la terre est encore sèche et il faut recommencer.

Qu'est devenue l'eau de la veille ? Elle s'est évaporée, elle s'est dissoute dans l'air ; et maintenant elle voyage peut-être en des régions lointaines, à de grandes hauteurs, jusqu'à ce que, devenue lambeau de nuage, elle retombe en pluie. Lorsque Claire s'exténue à faire boire ses fleurs, a-t-elle jamais songé que l'eau répandue à terre tôt ou tard se dissipe dans les immensités de l'air, pour prendre sa modeste part à la formation des nuages ?

CLAIRE. — Je vois maintenant que, du contenu d'un arrosoir, les plantes prennent peut-être le plein creux de la main et que l'air boit le reste. Voilà pourquoi tous les jours il faut recommencer.

AURORE. — Et si l'on exposait au soleil une assiette pleine d'eau, qu'adviendrait-il à la fin ?

AUGUSTINE. — Je me charge de le dire. Peu à peu, l'eau s'en irait en vapeurs invisibles, et il ne resterait rien dans l'assiette.

AURORE. — Ce qui se fait aux dépens de l'eau d'une assiette, et de l'humidité du sol ou d'un linge mouillé, se fait aussi dans des proportions énormes sur la surface du monde entier. L'air est en contact avec le sol humide, avec d'innombrables nappes d'eau, lacs, marécages, fleuves, rivières, ruisseaux, avec la mer surtout, la mer immense, trois fois plus étendue que l'ensemble des terres ; il doit donc contenir toujours de l'humidité, tantôt plus, tantôt moins, suivant la chaleur.

L'air qui est là maintenant tout autour de nous, cet air invisible où l'œil ne distingue rien, contient cependant de l'eau, que l'on peut faire apparaître. Le moyen est très-simple : il suffit de refroidir un peu l'air. Quand on presse une éponge humide dans la main, on en fait suinter l'eau. Eh bien, le froid agit sur l'air humide à peu près comme la pression de la main sur l'éponge : il en fait suinter l'humidité sous forme de fines gouttelettes. Si Augustine veut aller à la pompe remplir une carafe d'eau bien fraîche, je vous montrerai cette curieuse expérience.

Augustine se rendit à la pompe et revint avec une carafe d'eau très-fraîche. Aurore prit la carafe, l'essuya bien afin qu'il ne restât en dehors aucune trace d'humidité, et la plaça sur une assiette également bien essuyée.

Or, voici que la carafe, d'une limpidité parfaite, se couvre d'une espèce de brouillard qui en ternit la transparence ; puis des gouttelettes apparaissent, ruissellent sur ses flancs et descendent dans l'assiette. Au bout d'un quart d'heure, il s'était amassé dans l'assiette assez d'eau pour remplir un dé à coudre.

AURORE. — Les gouttes d'eau qui maintenant ruissellent sur le dehors de la carafe ne proviennent pas, c'est tout clair, de l'intérieur, car le verre ne se laisse pas traverser par l'eau. Elles proviennent de l'air environnant, qui se refroidit au contact de la carafe et laisse alors suinter son humidité. Si la carafe était plus froide, si elle était pleine de glace, le dépôt des,gouttelettes liquides serait plus abondant.

MARIE. — La carafe me rappelle quelque chose de semblable. Quand on remplit d'eau fraîche un verre d'une propreté parfaite, il arrive que le dehors du verre se ternit aussitôt et semble mal lavé.

AURORE. — C'est encore l'air environnant qui dépose son humidité sur la paroi fraîche du verre.

MARIE. — Cette humidité invisible contenue dans l'air est-elle abondante ?

AURORE. — La vapeur invisible de l'air est toujours chose si subtile, si disséminée, qu'il en faudrait des volumes très-considérables pour faire une petite quantité d'eau. Pendant les chaleurs de l'été, alors que l'air renferme le plus de vapeur, il faudrait soixante mille litres d'air humide pour fournir un litre d'eau.

CLAIRE. — C'est bien peu.

AURORE. — A cause de l'immense étendue de l'air, c'est suffisant pour donner de très-fortes pluies.

L'expérience de la carafe nous apprend deux choses : d'abord, il y a toujours de la vapeur invisible dans l'air ; en second lieu, cette vapeur devient visible et se change en brouillard, puis en gouttelettes d'eau par le refroidissement. Ce retour de la vapeur invisible à l'état de vapeur visible ou de brouillard, puis à l'état d'eau, se nomme condensation. La chaleur réduit l'eau en vapeur invisible ; le refroidissement condense cette vapeur, c'est-à-dire la ramène à l'état d'eau ou pour le moins à l'état de vapeur visible ou de brouillard.

source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874