AURORE. — Qui d'entre nous, en regardant les nuées, n'a souhaité l'aile de l'oiseau pour se transporter au milieu de cette ouate céleste, d'une blancheur éclatante, qui s'amoncelle en montagnes de coton cardé ? Qui n'a désiré reposer sur le moelleux matelas du nuage, sorte de toison, tantôt plus blanche que neige, tantôt incendiée de rouges réverbérations, comme si quelque fournaise s'embrasait dans son épaisseur ? Et le cortège du soleil couchant, ce cortège de nuages dont la splendeur n'a rien de comparable au monde, qui n'a désiré le contempler de plus près ; qui ne s'est demandé dans quels trésors puise le ciel pour créer toutes ces magnificences ? Vous rappelez-vous ces cascades d'or fondu, ces fleuves de braise, ces prodigieux entassements d'ouate couleur de feu, ces tentures éblouissantes dont l'œil a de la peine à supporter l'éclat, enfin tout ce riche appareil dont le soleil, parfois, s'entoure avant de nous quitter ? Que de merveilles produites avec les matières les plus communes ! Ces nuages resplendissants, devant lesquels l'éclat de toute chose terrestre pâlit, ne sont qu'un peu de vapeur d'eau que traverse un rayon de soleil.

CLAIRE. — De cette vapeur que la carafe d'eau fraîche vient de nous montrer dans l'air ?

AURORE. — De cette vapeur elle-même, devenue vapeur visible, brouillard, nuage enfin par le refroidissement. Vous vous rappelez toutes ces brouillards qui, dans les matinées humides d'automne et d'hiver, couvrent la terre d'un voile de fumée grise, cachent le soleil et nous empêchent de voir à quelques pas devant nous ?

MARIE. — En regardant en l'air, on aperçoit flotter comme une fine poussière d'eau.

CLAIRE. — Avec Augustine, il nous est arrivé de jouer à cache-cache dans cette espèce de fumée humide. A quelques pas de distance, on ne peut plus se voir.

AURORE. — Eh bien, les nuages et les brouillards sont même chose ; seulement les brouillards s'étalent autour de nous et se montrent tels qu'ils sont, gris, humides, froids, tandis que les nuages se tiennent plus ou moins élevés, et prennent, avec l'éloignement et sous les rayons du soleil, de riches apparences. Il y en a d'un blanc éblouissant ; il y en a de couleur d'or et de feu ; il y en a de cendrés, de noirs. Au coucher du soleil, vous verrez tel nuage débuter par être blanc, puis se teindre d'écarlate, puis briller comme un brasier ardent, et enfin s'obscurcir et tourner au gris, au noir, à mesure que les rayons solaires lui arrivent en moindre abondance. Tout cela est affaire d'illumination. En réalité, les nuages, si splendides qu'en soient les apparences, sont formés d'une fumée humide absolument pareille à celle des brouillards. Leur merveilleux spectacle n'est qu'une illusion de lumière ; mais sous cette illusion se cachent les réservoirs de la pluie, cause de la fécondité du sol. Dieu, par qui les moindres détails de la création ont été réglés, a voulu que les substances les plus communes, mais les plus nécessaires, servissent à l'ornement de la terre malgré leur humble aspect réel ; et il les a revêtues d'un prestige calculé sur la distance à laquelle nous devons les contempler. L'air, invisible sous une faible épaisseur, devient l'admirable voûte azurée du ciel, vu à travers toute l'épaisseur de l'atmosphère. Des fumées grises, qui nous donnent la pluie, vues à distance et illuminées par le soleil, deviennent une tenture céleste où le regard émerveillé trouve les magnificences de la pourpre, de l'or et du feu.

Une évaporation continuelle a lieu, je viens de vous le dire, tant à là surface du sol humide qu'à la surface des différentes nappes d'eau, principalement de la mer. Les couches inférieures de l'air s'imprègnent ainsi de vapeur d'eau. Si ces couches viennent à se refroidir, les vapeurs. qu'elles renferment éprouvent un commencement de condensation et produisent un brouillard. Telle est la cause des brumes qui, le matin, couvrent les vallées où se trouvent des marécages ou des cours d'eau. Plus tard, quand le soleil est assez vif, ces brouillards se dissipent, parce que les vapeurs à demi condensées qui les forment se dissolvent en entier dans l'air par l'effet de la chaleur et deviennent invisibles. Mais si les couches inférieures sont chaudes, elles s'élèvent dans les hautes régions à cause de leur légèreté, et emportent avec elles les vapeurs invisibles dont elles se sont imprégnées au contact de la terre humide, des nappes d'eau, des flots de la mer. Cette masse d'air chaud et chargé de vapeurs rencontre, à mesure qu'elle s'élève, des températures de plus en plus froides ; il arrive donc un moment où les vapeurs ne peuvent plus être tenues en dissolution complète et se changent en un brouillard, qui prend alors le nom de nuage.

CLAIRE. — Si elles étaient à terre, ces fumées de vapeur seraient des brouillards ; à la hauteur où elles se trouvent, ce sont des nuages. Cette hauteur est-elle bien grande ?

AURORE. — Elle est fort variable, et n'atteint pas, en général, la valeur que vous pourriez supposer. Il y a des nuages qui traînent à terre, ce sont les brouillards ordinaires ; il y en a d'autres qui stationnent sur les flancs des montagnes médiocrement élevées ; d'autres qui en couronnent les cimes. La région où ils se trouvent communément est comprise entre 500 et 1, 500 mètres.

CLAIRE. — Pas plus ?

AURORE. — Pas plus. D'autres, en moindre nombre, atteignent une lieue, deux lieues de hauteur. Enfin, dans quelques cas assez rares, ils s'élèvent à près de quatre lieues.

CLAIRE. — Et par delà ?

AURORE. — Par delà, le ciel est d'une perpétuelle sérénité. Là, jamais les nuages ne montent ; là, jamais ne gronde le tonnerre ; là, jamais ne se forment la neige, la grêle, la pluie.

Tous les nuages ne se composent pas de vapeur à demi condensée en fumée visible. A des hauteurs un peu grandes, le froid est assez vif pour amener l'eau à l'état de glace. Et, en effet, des ascensions aérostatiques ont permis d'observer, au milieu même de l'été, à 6,000 mètres de hauteur et au delà, des nuages uniquement composés de très-fines aiguilles de glace. On appelle cirrus les nuages qui présentent cette singulière composition. Vus d'ici-bas, ils ont tantôt l'aspect de légers flocons pareils à des touffes de laine crépue, tantôt celui de filaments déliés d'une blancheur éclatante faisant un vif contraste avec le bleu foncé du ciel. De tous les nuages, ce sont les plus élevés. Quand les cirrus prennent la forme de petits nuages arrondis, disposés à côté l'un de l'autre en très-grand nombre, de manière à produire l'aspect d'un troupeau de moutons vus par le dos, le ciel qui en est couvert est dit pommelé. C'est d'ordinaire un présage de changement de temps.

On donne le nom de cumulus à ces gros nuages blancs à contours arrondis, qui s'entassent, pendant les chaleurs de l'été, comme d'immenses montagnes de coton. Leur apparition est signe d'orage.

On nomme stratus les nuages disposés par bandes irrégulières au bord du ciel au moment du lever ou du coucher du soleil. Ce sont ces nuages qui, aux dernières lueurs du jour, prennent les teintes ardentes de la flamme. Les stratus rouges du soir annoncent le beau temps ; les stratus rouges du matin sont suivis de vent ou de pluie.

Enfin on appelle nimbus un ensemble de nuages sombres, d'un gris uniforme, tellement confondus l'un dans l'autre qu'il est impossible de les distinguer. Ces nuages se résolvent ordinairement en pluie. Vus à distance, ils présentent souvent de larges bandes qui vont en ligne droite du ciel à la terre. Ce sont des traînées de pluie.

source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874