Lorsqu'ils pénétrèrent dans la Gaule chrétienne, sous la conduite de Clovis, les Francs étaient adonnés au culte d'Odin, divinité de sang et de guerre qui, dans le Walhalla, conviait à d'éternels festins les braves morts les armes à la main. Dans ce paradis de l'héroïsme guerrier, dans ce Walhalla, la félicité suprême consistait à se tailler en pièces éternellement, à échanger, en de célestes batailles, de grands coups d'épée et des blessures aussitôt refermées que reçues. A pleines cornes de bœuf, on puisait la bière et l'eau de miel fermentée dans des tonneaux inépuisables ; on se partageait entre convives la venaison d'un monstrueux sanglier, chaque jour servi sur la table du festin et chaque jour reparaissant intact. Telles étaient les croyances religieuses des Francs.
Cependant Chlothilde, la femme de Clovis, était chrétienne et s'efforçait par une douce persuasion d'amener le chef salien au culte du vrai Dieu. Mais aux pieuses instances de sa femme, Clovis secouait la tête. — «Toutes choses, disait-il, ont été produites par mes divinités, et non par votre Dieu, qui ne peut rien et n'est pas même un dieu, puisqu'il n'est pas de la race d'Odin. Il n'a pas de Walhalla, avec des combats et des festins pour mes guerriers. »
Néanmoins il consentit à ce que son premier-né fût baptisé. L'enfant mourut quelques jours après, étant encore dans les aubes, c'est-à-dire dans la robe blanche portée en signe de pureté pendant la première semaine qui suivait le baptême. Très-chagrin de cette perte, Clovis prétendait que l'enfant ne fût point mort s'il eût été consacré au nom de ses dieux. — « Nous l'avons perdu, disait-il, parce que vous l'avez arrosé d'eau au nom de votre Christ. » — Or, voici que Chlothilde eut un second fils, appelé Chlodomir, qu'elle présenta également au baptême. Ce fils tomba malade à son tour. — « Cela devait être, murmurait le père ; cet enfant va mourir comme le premier à cause de l'eau de votre Dieu. » — Mais les prières de Chlothilde furent exaucées et le petit malade se rétablit.
En ce temps-là de grands périls menaçaient les Francs : à peine maîtres de la Gaule, ils étaient menacés de la perdre. Les conquérants avaient à défendre leurs conquêtes contre les Alamans, qui se préparaient à franchir le Rhin. En ce péril, Clovis convoqua ses alliés, les petits rois saliens, et courut au-devant des nouveaux envahisseurs. La rencontre eut lieu à Tolbiac, près de Cologne. Mais la déroute se mit dans l'armée des Francs, et, pour la première fois, Clovis fut obligé de reculer. Blessé au visage et couvert de sang, il essayait en vain d'arrêter son armée saisie d'épouvante ; avec de grands cris, il appelait à son secours ses dieux et ses déesses. Ses soldats n'en continuaient pas moins à fuir et à tomber en foule. Il se souvint alors du Dieu dont lui parlait Chlothilde.
— « J'ai appelé mes dieux, s'écria Clovis, et ils ne m'assistent pas dans ma détresse : ils ne peuvent donc, rien puisqu'ils ne secourent pas ceux qui les servent ! Christ, que Chlothilde assure être le fils du Dieu vivant, j'invoque avec foi ton assistance ! Si tu m'accordes la victoire sur mes ennemis, je croirai en toi et je me ferai baptiser en ton nom. »
Rassurés par l'espoir d'un secours surnaturel, les Francs cessent de fuir, font face à l'ennemi, le repoussent et par des prodiges de courage finissent par le mettre en déroute. Les Alamans ont leur chef tué et se soumettent à Clovis.
Le vainqueur de Tolbiac vint à Reims, où Chlothilde et l'évêque saint Rémi le pressèrent de remplir son vœu. — Je t'écouterais volontiers, très-saint père, répondit Clovis à l'évêque, mais il reste un obstacle : c'est que les guerriers qui me suivent ne veulent pas abandonner leurs dieux. J'irai vers eux et je leur parlerai d'après tes paroles. » — Il assembla donc ses guerriers et les persuada. Tous s'écrièrent d'une commune voix : — « Nous rejetons les dieux mortels, et nous reconnaissons le Dieu immortel que prêche Rémi. »
L'évêque, cependant, transporté d'allégresse, ordonne qu'on prépare la piscine sacrée. On tend, d'un toit à l'autre, dans les rues et sur les parois de l'église, des voiles aux brillantes couleurs ; on décore les murailles de blanches draperies ; on dispose le baptistère. L'encens fume les cierges brillent et le temple est rempli d'un parfum divin. Le cortège se met en marche, précédé par le crucifix et les saints évangiles, au chant des hymnes, des cantiques et des litanies, et aux acclamations poussées en l'honneur des saints. Rémi menait le roi par la main. — « Patron, s'écriait Clovis émerveillé de tant de splendeur, n'est-ce pas là le royaume de Dieu que tu m'as promis ? — Non, répliqua l'évêque, ce n'est pas le royaume de Dieu, mais la route qui y conduit. »
Clovis descendit dans la piscine où se plongeaient alors ceux qui recevaient le baptême. En répandant l'eau sainte, Rémi dit : — « Adoucis-toi, Sicambre, et courbe la tête ; adore ce que tu as brûlé et brûle ce que tu as adoré. » — Le roi confessa donc le Dieu tout-puissant, et fut baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Plus de trois mille Francs furent baptisés avec lui. Cet événement mémorable, qui devait sceller l'alliance des Francs avec la Gaule chrétienne, arriva le jour de Noël de l'année 496.
source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874