L'histoire des plantes vénéneuses amena celle des champignons, dont quelques-uns sont une nourriture exquise et d'autres des poisons redoutables. Aurore conduisit ses amies dans un bois de hêtres du voisinage.

Les arbres, plusieurs fois séculaires, rejoignant leurs ramées à une grande hauteur, formaient une voûte de feuillage à travers laquelle glissait, de loin en loin, un rayon de soleil. Leurs troncs lisses, à écorce blanche, faisaient l'effet de colonnes énormes soutenant le faix d'un immense édifice plein d'ombre et de silence. Sur les hautes cimes, des corneilles jasaient en se lissant les plumes. Parfois un pic-vert à tête rouge, surpris dans son travail, qui consiste à cogner du bec le bois vermoulu pour en faire sortir les insectes dont il se nourrit, jetait son cri d'alarme et partait comme un trait.

Du milieu de la mousse dont le sol était matelassé sortaient, de çà de là, de nombreux champignons. Il y en avait de ronds, lisses et blancs. Augustine ne se lassait pas de les admirer ; elle les comparait, en son imagination, à des œufs déposés dans un creux de la mousse par quelque poule vagabonde. D'autres étaient d'un rouge vernissé, d'autres d'un fauve ardent, d'autres d'un jaune vif. Ceux-ci, commençant à sortir de terre, étaient enveloppés d'une sorte de bourse qui se déchire à mesure que le champignon grossit ; ceux-là, plus avancés, s'étalaient à la manière d'un parapluie ouvert. Beaucoup enfin tombaient en décomposition. Dans leur fétide pourriture grouillaient d'innombrables vers, qui plus tard deviennent des insectes. Quand on eut fait provision des principales espèces, on s'assit au pied d'un hêtre, sur le moelleux tapis de mousse, et Aurore parla ainsi ;

AURORE. — Les champignons ont habituellement la forme d'une espèce de dôme supporté par un pied. Ce dôme prend le nom de chapeau. Le dessous du chapeau présente diverses configurations, dont voici les principales :

Tantôt il est composé de minces lames, très-nombreuses, disposées avec régularité l'une à côté de l'autre et rayonnant du centre au bord. Les champignons dont le dessous du chapeau est formé de lames rayonnantes se nomment agarics.

Tantôt le chapeau est percé en dessous d'une infinité de petits trous, qui sont les orifices d'autant de tubes accolés les uns aux autres en une masse commune. Les champignons qui présentent cette structure s'appellent bolets.

Tantôt encore le dessous du chapeau est hérissé de fines pointes pareilles à celles de la langue du chat. Le champignon prend alors le nom d'hydne.

Tantôt enfin le dessous du chapeau est parcouru par des veines saillantes, des plis, qui se joignent l'un à l'autre, se séparent et se rejoignent encore, à peu près comme les nervures d'une feuille. Les champignons de cette catégorie se nomment chanterelles.

Les espèces les plus remarquables et les plus nombreuses appartiennent aux champignons à lames et aux champignons criblés de petits trous en dessous, c'est-à-dire aux agarics et aux bolets.

Voyez d'abord celui-ci. C'est un agaric. Le dessus du chapeau est d'un beau rouge orangé ; les lames de dessous sont jaunes. Le pied s'élève du fond d'une sorte de bourse blanche à bords déchirés. Cette bourse, appelée volva, enveloppait d'abord en entier le champignon ; en grossissant et s'élevant de terre, le champignon l'a crevée. Enfin une collerette, fine et blanche, entoure le pied vers le haut. Cette collerette prend le nom d'anneau. Le champignon que je vous montre est le meilleur de tous, le plus apprécié. On le nomme l'oronge vraie.

Regardez maintenant cet autre agaric. Il est également d'un rouge orangé, également muni d'un anneau dans le haut du pied et d'une bourse ou volva à la base. On l'appelle la fausse-oronge. Ne dirait-on pas néanmoins la même espèce ?

CLAIRE. — Pour ma part, je n'y vois pas grande différence.

AUGUSTINE. — Ni moi non plus.

MARIE. — Moi j'en vois une, mais bien légère. Le second agaric a les feuillets blancs, tandis que le premier les a jaunes.

AURORE. — Marie a l'œil clairvoyant. J'ajouterai que dans la fausse-oronge le dessus du chapeau est parsemé de lambeaux de peau blanche, débris du volva déchiré. La première oronge n'a pas ces lambeaux, ou bien en a très-peu.

Si l'on ne tenait compte de ces légères différence, on commettrait une très-fatale erreur. Le premier champignon est un mets délicieux ; le second, ou la fausse oronge, est un poison atroce. Vous voyez qu'il est bien difficile, sans des études spéciales dont bien peu ont le loisir et le goût de s'occuper, de distinguer les espèces bonnes des espèces mauvaises. Voilà deux champignons qui se ressemblent presque comme deux gouttes d'eau : l'un tue, l'autre est excellent. Il ne se passe pas d'année où il n'y ait des empoisonnements à déplorer par suite de la confusion entre les deux espèces. Retenez bien leurs caractères pour ne pas vous exposer un jour à quelque terrible méprise.

MARIE. — Les deux oronges ont le chapeau d'un rouge orangé et possèdent un volva ou bourse blanche. L'oronge bonne à manger a les feuillets jaunes, l'oronge vénéneuse a les feuillets blancs. De plus, l'oronge vénéneuse a sur le chapeau de nombreux lambeaux de peau blanche.

AURORE. — Il faut être aussi d'une extrême circonspection avec tous les agarics dont le pied sort d'une bourse ou volva, bourse tantôt épanouie librement à l'air et tantôt plus ou moins cachée sous terre. C'est dans cette catégorie que se trouvent les champignons les plus à craindre. J'appellerai surtout votre attention sur l'oronge ciguë, l'une des espèces les plus communes, en automne comme au printemps, dans les parties humides et ombragées des bois. C'est elle qui cause le plus d'accidents, car, même en petite quantité, elle est un poison rapidement mortel. Le chapeau est tantôt de couleur blanche, tantôt de couleur citron pâle, tantôt encore de couleur vert olive ou grisâtre. De cette diversité de coloration proviennent les noms multiples qu'on lui donne : oronge ciguë blanche, oronge ciguë verte, oronge ciguë jaune. Toutes ces variétés sont également vénéneuses. J'ajoute que le chapeau est souvent moucheté d'écailles blanches, que le pied est blanc, renflé en bulbe à la base et entouré dans le haut d'une large collerette membraneuse, rabattue, jaune ou blanche. Les lames sont blanches.

Voici un autre agaric, mais totalement dépourvu de volva. C'est l'agaric champêtre ou champignon de couche, espèce d'un usage très-répandu. Son chapeau est lisse, satiné, le plus souvent blanc. Le pied est entouré d'un anneau ; les lames sont d'abord d'une couleur rosé tendre ou vineuse, puis brunes et finalement noires. L'agaric champêtre croît dans tous les terrains dans les bois peu couverts, les friches, les pâturages, les jardins, les tas de terreau. C'est l'espèce la plus employée comme aliment, et la seule que l'on soit parvenu à cultiver. Dans les vieilles carrières des environs de Paris, on fait des tas ou couches de fumier de cheval et de terre légère. On met dans ces couches des fragments de champignon connus des horticulteurs sous le nom de blanc, et de nombreux pieds d'agaric champêtre ne tardent pas à se montrer.

Pour terminer, disons un mot des bolets. Ils se reconnaissent, vous le savez, la face inférieure de leur chapeau criblée d'une infinité de petits trous. Le bolet le plus estimé se nomme bolet comestible ou ceps. C'est un gros champignon, épais, voûté, d'un brun plus ou moins rougeâtre, à chair blanche et d'odeur agréable. Le dessous du chapeau débute par être blanc, et devient plus tard légèrement jaune. Le pied est gros, ventru, marqué de fines lignes qui figurent un peu les mailles d'un filet. Ce bolet devient parfois énorme et pèse jusqu'à trois kilogrammes.

D'autres bolets, excessivement communs, ont une chair qui, froissée, devient aussitôt bleue ou verte. Aucun d'eux n'est bon à manger.

La truffe est le plus renommé des champignons alimentaires. Elle croît sous terre, où son odeur la fait découvrir. On mène dans les bois un animal à flair très-developpé, soit le chien, soit le porc. Affriandé par le fumet des champignons souterrains, le porc fouille, de son groin, aux points qui recèlent des truffes. On détourne l'animal ; pour dédommagement on lui jette une châtaigne, et l'on achève de déterrer le précieux champignon. Dans sa forme, la truffe ne rappelle en rien les champignons ordinaires. C'est un corps grossièrement arrondi, tout rugueux, à chair noire marbrée de blanc.

source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874