CLAIRE. — J'ai bien compris la cause des éclipses solaires. La Lune se place entre nous et le Soleil ; elle nous fait ombre, et les pays couverts par cette ombre cessent de voir le Soleil. Il y a aussi des éclipses de Lune. Comment se produisent-elles ?
AURORE. — La Lune, vous le savez, ne brille que de la lumière lui venant du Soleil. Si cette lumière ne peut lui parvenir, arrêtée en route par un obstacle, la Lune aussitôt cesse d'être lumineuse et par conséquent visible ; elle est éclipsée. Cela arrive toutes les fois que la Lune se trouve en ligne droite en arrière de la Terre, à l'opposé du Soleil.
Jetez les yeux sur la figure que voici :
La Terre est T ; le Soleil est à droite, dans la direction S, à une distance très-grande ; la Lune tourne autour de nous et occupe successivement les positions A, B, C, D, H, K. Quand elle est dans la position A, exactement entre nous et le Soleil elle nous cache celui-ci et il y a éclipse solaire. Quand elle est dans la position D, exactement en arrière de nous, elle cesse de recevoir la lumière du Soleil, à cause de la Terre qui l'arrête au passage. Ne recevant plus de lumière, elle cesse à l'instant d'être visible, bien qu'il n'y ait rien d'interposé entre elle et nos regards. Je vous ai déjà dit que, dans la position A, la Lune est nouvelle et que, dans la position D, elle est pleine. Les éclipses de soleil ont par conséquent lieu à l'époque de la nouvelle lune, et les éclipses de lune ont lieu à l'époque de la pleine lune.
CLAIRE. — Ainsi la Lune, interposée entre la Terre et le Soleil, est la cause des éclipses de soleil ; et la Terre, interposée entre le Soleil et la Lune, est la cause des éclipses de lune.
MARIE. — Il devrait donc y avoir éclipse de soleils toutes les nouvelles lunes, et éclipse de lune toutes les pleines lunes, c'est-à-dire tous les 28 jours.
AURORE. — Cela aurait lieu, en effet, si à ces deux époques les trois astres se trouvaient exactement en droite ligne ; mais ce n'est pas ainsi que d'habitude les choses se passent. Dans son voyage autour de nous, la Lune rarement se trouve en ligne droite avec la Terre et le Soleil ; elle passe tantôt au-dessus de l'alignement des deux globes, tantôt au-dessous ou par côté ; pas beaucoup, il est vrai, mais enfin assez pour ne pas donner lieu à des éclipses. Ce n'est que de loin en loin que les trois astres se trouvent alignés sur la même droite : il y a alors éclipse de soleil ou de lune, suivant que la Lune se trouve en avant ou en arrière de nous par rapport au Soleil.
L'éclipse est partielle si la Lune disparaît en partie seulement derrière la Terre, de manière qu'une portion de son disque cesse de recevoir la lumière du Soleil, tandis que l'autre portion continue d'être éclairée. Elle est totale, si la Terre cache en entier le Soleil à la Lune. La plus grande durée d'une éclipse totale est de deux heures environ c'est le temps que met la Lune à franchir l'espace dans lequel la Terre empêche les rayons du Soleil de pénétrer.
Une éclipse de lune, partielle ou totale, n'est pas un fait local, visible pour certaines contrées, invisible pour d'autres, commençant ici plus tôt, ailleurs plus tard. Au même instant pour tous les points du monde, l'éclipse commence ; au même instant, elle finit. De plus, d'un bout à l'autre de la Terre, à la condition seule que l'astre soit au-dessus de l'horizon, toutes les contrées la voient avec les mêmes aspects ; et s'il nous était possible de nous transporter hors de ce monde, en un point quelconque de l'espace, nous verrions, comme d'ici, la Lune s'obscurcir et disparaître. Une lampe qui s'éteint dans un appartement obscur cesse au même instant d'être visible de tous les points de la salle. De même la Lune, qui s'éteint en quelque sorte en passant derrière la Terre, c'est-à-dire ne reçoit plus les rayons solaires cause de sa clarté, s'éclipse au même instant pour tous les lieux du monde. Elle n'est plus visible ni de la Terre, ni d'aucun autre point de l'univers. Les éclipses lunaires sont donc générales et simultanées ; les éclipses de soleil au contraire, ne sont visibles que de proche en proche et pour certaines stations seulement, stations sur lesquelles arrive l'ombre de la Lune.
En des siècles d'ignorance, les éclipses jetaient la terreur dans les populations : on voyait en elles les redoutables précurseurs des colères du ciel. Aujourd'hui, élevés par la science à des idées plus saines, nous voyons dans les éclipses l'expression des lois éternelles qui meuvent la Lune et la Terre sur d'immuables orbites, et les ramènent à jour fixe sur la même droite avec le Soleil. Elles ne sont plus pour nous le signe avant-coureur de fléaux, mais la preuve évidente de l'ordre imprimé à jamais par le Créateur au sublime mécanisme du ciel. L'astronome calcule une éclipse aussi longtemps à l'avance qu'il le désire. Il dit le jour, l'heure, la minute précise de son arrivée il dit en quels lieux elle sera totale en quels lieux partielle, et jamais les faits ne viennent démentit ses prévisions.
Les éclipses se reproduisent dans le même ordre, tous les dix-huit ans et onze jours. Dans cette période arrivent environ 70 éclipses, dont 41 de soleil et 29 de lune. En une année, pour la Terre entière, il y a au plus sept éclipses, soit de lune, soit de soleil il y en a deux au moins et quatre en moyenne. Pour un lieu déterminé, il ne survient qu'une éclipse totale de soleil en deux cents ans. La dernière éclipse totale de soleil visible pour le midi de la France a eu lieu le 8 juillet 1842. Dans le reste de ce siècle, il y aura une éclipse totale de soleil, le 19 août 1887, pour le midi de la Russie et l'Asie centrale une seconde, le 9 août 1896, pour la Sibérie, la Laponie, le Groenland ; une dernière enfin, le 8 mai 1900, pour l'Espagne, l'Algérie, l'Egypte et les Etats-Unis. Qui sait si quelqu'une de nous, dépaysée par les exigences de notre vie remuante, n'assistera pas à quelqu'une de ces éclipses totales dont la science lit la date dans le livre de l'avenir ?
source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874