Qu'est-ce que le tonnerre ? Qu'est-ce que la foudre ? D'où provient ce trait de feu qui tout à coup serpente à travers les nuages et produit l'éblouissante lueur de l'éclair ? Telles étaient les questions que Marie et Claire faisaient à Aurore après un orage, qui plus d'une fois les avait fait tressaillir de frayeur par ses violents coups de tonnerre.

AURORE. — Vous me demandez la cause de la foudre ? Je veux bien vous en dire quelques mots, mais je vous avertis : c'est difficile pour vous, très-difficile, et je crains que vous ne me compreniez pas tout à fait.

CLAIRE. — Dites toujours, nous écouterons bien.

AURORE. — Soit. L'air n'est pas visible, on ne peut le saisir ; s'il était toujours en repos, vous n'en soupçonneriez peut-être pas encore l'existence. Mais quand un vent violent courbe les hauts peupliers et fait tourbillonner les feuilles, quand il déracine les arbres et enlève la toiture des habitations, qui peut douter de l'existence de l'air ; car le vent n'est autre chose que de l'air coulant avec force d'un pays dans un autre. L'air, si subtil, si caché à nos regards, si paisible au repos, est donc bel et bien une chose matérielle, une chose même très-brutale quand elle se meut violemment.

C'est pour vous dire qu'une substance peut exister, dont rien parfois ne trahit la présence. Nous ne la voyons pas, nous ne la touchons pas, nous ne la sentons pas, et cependant elle est là, partout ; nous en sommes entourées, nous vivons au milieu d'elle.

Eh bien, il y a une chose encore plus cachée que l'air plus invisible que lui, plus difficile à soupçonner. Elle est partout, absolument partout, même en nous ; mais elle se tient si tranquille, que jusqu'ici peut-être vous n'en avez pas entendu parler.

Augustine, Claire et Marie se parlaient du regard, cherchant à deviner ce que pouvait être cette chose qui se trouvait partout et qu'elles ne connaissaient pas encore. Elles étaient à cent lieues de soupçonner ce que la tante avait en vue.

AURORE. — Vainement vous chercheriez seules tout le jour, toute l'année, toute votre vie peut-être : vous ne trouveriez pas. C'est qu'elle est singulièrement cachée, voyez-vous, la chose dont je parle ; il a fallu de la part des savants de bien délicates recherches pour entrer en connaissance avec elle. Servons-nous des moyens qu'ils nous ont appris pour la faire apparaître.

Aurore prit dans son bureau un bâton de cire d'Espagne et le frotta vivement sur un morceau de drap puis elle l'approcha d'une menue parcelle de papier. Voici que le papier s'élance et vient se coller contre la cire d'Espagne. A plusieurs reprises, l'expérience est recommencée. Chaque fois le papier se soulève seul, part et va se coller contre le bâton.

— Le morceau de cire d'Espagne, reprit Aurore, qui tantôt n'attirait pas le papier, l'attire maintenant. Le frottement sur le drap a donc développé en lui quelque chose qu'on ne peut voir, car le bâton n'a en rien changé d'aspect ; et cette chose invisible n'est pas moins très réelle, puisqu'elle soulève le papier, l'attire sur la cire et l'y maintient collé. Cette chose se nomme électricité. Vous pouvez aisément la faire apparaître en frottant contre du drap soit du verre, soit un bâton de soufre, soit de la résine, soit de la cire d'Espagne. Toutes ces matières, une fois frottées, auront la propriété d'attirer à elles les objets très-légers, comme de menus morceaux de paille, des parcelles de papier, des grains de poussière. Ce soir je vous en apprendrai davantage, quant j'aurai fait mes petits préparatifs.

Ces préparatifs consistaient à allumer le poêle, rendu d'ailleurs supportable, malgré la saison, à cause de la bise froide et sèche qui s'était élevée après l'orage. Le soir venu, Aurore prit sur ses genoux le chat, qui dormait sur une chaise à côté du poêle allumé puis elle souffla la lampe. L'obscurité faite, elle se mit à passer et à repasser la main sur le dos du matou. Oh ! Oh ! merveille La fourrure de la bête ruisselle de perles lumineuses de petits éclairs d'une lueur blanche apparaissent, pétillent et disparaissent à mesure que la main frictionne on dirait que les étincelles d'un feu d'artifice jaillissent entre les poils. Toutes sont en admiration devant les magnificences du matou.

CLAIRE. — Ce feu brûle-t-il ? Le chat ne dit rien et vous passez la main sans crainte.

AURORE. — Ces étincelles ne sont pas du feu. Vous vous rappelez le bâton de cire d'Espagne, qui, une fois frotté sur du drap, attire les parcelles de paille et de papier. Je vous ai dit que l'électricité, suscitée par la friction, est la cause qui fait s'élancer le papier sur la cire. Eh bien, en frottant le dos du chat avec la main, je fais apparaître encore de l'électricité, mais en plus grande abondance, si bien qu'elle devient visible, d'invisible qu'elle était d'abord ; et jaillit en étincelles.

AUGUSTINE. — Puisque cela ne brûle pas, laissez-moi essayer.

Augustine passa la main sur la fourrure du chat. Les perles lumineuses et leurs craquements recommencèrent de plus belle. Marie et Claire en firent autant. Le matou fut alors lâché. L'expérience commençait d'ailleurs à l'ennuyer, et si Aurore ne l'avait tenu en respect, peut-être se serait-il permis un coup de griffe.

AURORE. — Puisque le chat menace de se fâcher, nous allons recourir à un autre moyen de produire de l'électricité.

On plie en deux, dans le sens de la longueur, une belle feuille de papier ordinaire puis on saisit la bande par chaque extrémité. On la chauffe alors aussi fortement que possible, mais sans la brûler, au-dessus d'un poêle ou devant un foyer ardent. Plus la chaleur sera élevée et le temps sec, plus l'électricité se développera en abondance. Une âpre soirée d'hiver, quand la bise souffle et que le poêle ronfle, est le moment le plus propice. Enfin, tenant toujours la bande rien que par les extrémités, on la frotte vivement, dès qu'elle est bien chaude, sur un morceau d'étoffe en laine préalablement chauffé et tendu sur le genou. La friction doit se faire avec rapidité, dans le sens de la longueur. Après une courte friction, la bande est brusquement soulevée d'une seule main, en ayant bien soin de ne pas laisser le papier toucher contre aucun objet, sinon l'électricité se dissiperait. Alors, sans tarder, on approche du centre de la bande l'articulation du doigt de la main libre, ou mieux le bout d'une clef ; et l'on voit s'élancer entre le papier et la clef, avec un léger pétillement, une brillante étincelle. Pour en obtenir de nouvelles, il faut chaque fois recommencer les mêmes opérations ; car, à l'approche du doigt ou de la clef, la feuille de papier perd en entier son électricité.

Au lieu de faire jaillir l'étincelle, on peut présenter à plat la feuille électrisée au-dessus de petites parcelles de papier, de menus débris de paille, de fragments de barbe de plume. Ces corps légers sont attirés et repoussés tour à tour ; ils vont et viennent rapidement de la bande électrisée à l'objet qui leur sert de support, et de celui-ci à la bande.

Joignant l'exemple au précepte, Aurore prit une feuille de papier, la doubla en une bande pour lui donner plus de résistance, la chauffa, la frictionna sur le genou et finalement en fit jaillir une étincelle l'approche du bout d'une clé. Toutes étaient émerveillées du petit éclair qui s'élance du papier avec un craquement. Les perles lumineuses du chat frictionné sont plus nombreuses, mais elles sont moins fortes et moins brillantes.

source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874