Nous nous rappelons toutes ces étincelles soudaines, qui, de nuit, semblent se détacher du firmament, et, pareilles à des fusées, sillonnent l'espace de traînées lumineuses, aussitôt évanouies qu'apparues. On dit vulgairement que ce sont des étoiles qui tombent, ou du moins changent de place sur la voûte du ciel. De là leur nom d'étoiles filantes.
MARIE. — Ces étincelles ne peuvent être des étoiles, si prodigieusement grosses, comparables au Soleil, et dont une seule, en tombant, mettrait la terre en poussière ? AURORE. — Ce ne sont pas, en effet, des étoiles, tant s'en faut. Laissons-leur le nom d'étoiles filantes, consacré par l'usage, mais gardons-nous de les confondre avec les étoiles réelles. Je vais vous apprendre le peu que l'on sait sur leur compte.
Il n'y a pas de nuit où ne se voient quelques étoiles filantes mais à certaines époques de l'année, spécialement vers le 10 août et le 12 novembre, leur nombre s'accroît dans des proportions étonnantes. Ce sont alors parfois de véritables averses d'étoiles filantes. Je me borne à vous citer un exemple de ces apparitions extraordinaires.
Le 12 novembre 1833, de neuf heures du soir au lever du soleil, on aperçut, le long des côtes orientales de l'Amérique du Nord,une des plus mémorables averses d'étoiles filantes. Pareilles à des fusées, elles rayonnaient par milliers d'un même point du ciel pour se porter dans toutes les directions, tantôt en ligne sinueuse, tantôt en ligne droite. Beaucoup faisaient explosion avant de disparaître. Les compter n'était guère possible : elles tombaient de moitié aussi dru que les flocons de neige pendant une bonne averse d'hiver. Cependant, lorsque le nombre assez affaibli permit de se reconnaître un peu, un observateur de Boston essaya un dénombrement approché. En quinze minutes, dans le dixième du ciel, il compta 866 étoiles filantes ce qui revient à 8,660 pour tout le ciel visible, et à 34,640 pour la durée d'une heure. Or l'averse dura sept heures ; en outre elle ne fut observée que dans son déclin, pour obtenir les bases de ce calcul. On voit donc que le nombre des étoiles filantes qui se montrèrent à Boston seulement dépasse 240,000. Faut-il s'étonner après si l'on évalue à des millions le total des étoiles filantes qui apparaissent annuellement pour la terre entière ?
Quelquefois des globes de feu se montrent isolés. On leur donne le nom de bolides. Ce sont des corps de forme généralement ronde, parfois d'une grosseur apparente égale à celle de la Lune ou même supérieure, qui subitement traversent notre ciel, en projetant une vive lumière, et, après quelques secondes, disparaissent avec la même soudaineté. Fréquemment ils laissent sur leur trajet une queue d'étincelles ; quelquefois enfin ils éclatent avec un épouvantable fracas et lancent leurs débris fumants sur le sol. Ces débris prennent le nom d'aérolithes ou dé pierres tombées du ciel. Les astronomes se sont efforcés, autant que le permet la rapidité de l'apparition, de calculer la grosseur réelle et la vitesse des bolides. Les résultats diffèrent beaucoup de l'un à l'autre. On signale des bolides d'une trentaine, d'une centaine de mètres de diamètre on en signale d'autres de deux a quatre kilomètres ; d'autres de la grosseur du poing, d'une orange, d'un melon. Mais le trait le plus frappant, c'est leur prodigieuse vitesse, égale ou même supérieure à celle qui chasse les planètes autour du Soleil. Cette vitesse varie de 3 à 8 lieues par seconde.
Pour l'explication des étoiles filantes et des bolides, les astronomes admettent que, autour du Soleil, circulent divers tourbillons, divers anneaux de très-petites planètes, véritable poussière planétaire dont les grains sont comparables en volume un quartier de montagne, un bloc de rocher, un boulet, une noix. Ces corps de tout volume, ces astéroïdes, comme on les appelle, volent par incalcu1ables myriades autour du Soleil en divers essaims de forme annulaire, dont l'un, au moins, se trouve à notre proximité. Courbez en rond par la pensée la bande lumineuse où flotte, dans une chambre obscure, un tourbillon de poussière ; puis supposez à cette couronne un mouvement de rotation autour de son centre, et vous aurez l'image de l'un de ces essaims.
La Terre est à proximité de l'un de ces amas annulaires. Lorsque, dans sa course autour du Soleil, l'un des astéroïdes vient à se rapprocher de notre globe, il plonge obliquement dans notre atmosphère avec la foudroyante vitesse qui l'anime. Le frottement de l'air, exalté à l'excès par la rapidité de la course, produit une élévation de température, et soudain le corps céleste, jusque-là invisible, entre en incandescence, flamboie et laisse derrière lui une traînée d'étincelles. D'ordinaire la résistance toujours croissante de l'air, combinée avec l'obliquité de sa chute, l'arrête à son premier plongeon. Alors il rebondit en ricochet, comme une pierre obliquement ;lancée à la surface de l'eau, et s'élance hors de l'atmosphère, pour continuer autour du Soleil sa course un moment troublée. Eh bien, ces astéroïdes, qui, détournés de leur voie par l'attraction de la Terre, abandonnent leur essaim et viennent effleurer l'atmosphère en s'y enflammant, constituent ce que nous appelons étoiles filantes et bolides. La Terre, diverses époques de l'année, particulièrement le 10 août et le 12 novembre, s'engage au sein même du tourbillon des astéroïdes. Ainsi s'explique le retour périodique des averses d'étoiles filantes.
Le ricochet sur les premières couches de l'atmosphère n'est pas toujours possible, faute d'une assez grande obliquité dans la direction de l'astéroïde égaré. Alors celui-ci traverse toute l'épaisseur de l'air ; à une certaine hauteur, quand la température développée par le frottement atteint assez de violence, il détone avec le fracas du tonnerre, se brise en mille éclats et tombe enfin terre en pluie de pierres brûlantes ou aérolithes. La force de projection de ces débris est telle, qu'ils s'enfoncent dans le sol mieux que ne le ferait un boulet de canon. Leur surface noirâtre, comme vernissée, porte des signes manifestes d'un commencement de fusion. Leur poids est très-variable : tel aérolithe est un simple corpuscule, un grain de poussière ; tel autre pèse des centaines de kilogrammes.
Aucun aérolithe n'a présenté jusqu'ici de substance différente de celles qui composent notre globe. Du fer comme le nôtre, du soufre et du phosphore comme les nôtres, de la chaux, de l'argile, du cuivre, de l'étain, etc., en tout pareils aux nôtres, tels sont les matériaux constituants de ces échantillons minéralogiques descendus du ciel. Le fer y domine. On connaît des blocs énormes de fer pur, pesant jusqu'à 20,000 quintaux métriques, qui sont d'origine céleste. Ces blocs roulaient un jour, grains de poussière, autour du Soleil ; ils faisaient partie du tourbillon des astéroïdes. Aujourd'hui ces astres gisent à terre, et sont livrés aux outils des mineurs comme un trivial filon.
source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874