Si l'on fait quatre parts égales de la surface entière du globe terrestre, la terre, ferme occupe environ une de ces parties, et l'ensemble des mers occupe les trois autres. Sous la mer, il y a le sol, de même que sous les eaux d'un lac ou d'un simple ruisseau. Le sol sous-marin est accidenté tout autant que la terre ferme. En certains points, il est creusé de gouffres dont on trouve à grand'peine le fond ; en d'autres, il est hérissé de chaînes de montagnes, dont les plus hautes cimes dépassent le niveau des eaux et forment des îles ; en d'autres encore, il s'étend en vastes plaines ou se dresse en plateaux. Mis à sec, il ne différerait pas des continents.
Pour mesurer la profondeur des eaux, on jette à la mer un boulet attaché à l'extrémité d'un très-long cordon ; la quantité de cordon déroulée par le boulet dans sa chute indique la profondeur de l'eau. La plus grande profondeur de la Méditerranée paraît être entre l'Afrique et la Grèce. Dans ces parages, pour toucher le fond, le boulet dévide de 4,000 à 5,000 mètres de cordon. Cette profondeur équivaut à la hauteur de la montagne la plus élevée de l'Europe, à la hauteur du mont Blanc, qui est de 4,810 mètres. Dans l'Atlantique, au sud du banc de Terre-Neuve, lieu par excellence de la pêche de la morue, la sonde accuse 8,000 mètres environ. Les plus hautes montagnes du globe, situées vers le centre de l'Asie, ont 8,840 mètres d'altitude.
Entre ces abîmes épouvantables et la rive où la couche d'eau n'a pas un travers de doigt d'épaisseur, tous les degrés intermédiaires peuvent se présenter, tantôt d'une manière graduelle, tantôt brusquement, suivant la configuration du sol sous-marin. Sur tel rivage, la mer croît en profondeur avec une effrayante rapidité. Le rivage est alors le haut d'un escarpement dont la mer occupe le fond. Sur tel autre, elle croît peu à peu, et il faudrait se porter au large à de grandes distances pour trouver quelques mètres d'eau. Le lit de la mer est alors une plaine à pente insensible, continuation de la plaine terrestre. La profondeur moyenne des mers paraît être de 6 à 7 kilomètres, c'est-à-dire que si toutes les inégalités sous marines disparaissaient pour faire place à un lit régulier, comme le fond d'un bassin bâti de main d'homme, les mers, tout en conservant en superficie l'étendue qu'elles ont, posséderaient une couche uniforme de 6,000 à 7,000 mètres d'épaisseur.
Les eaux de la mer renferment en dissolution de nombreuses substances, qui leur donnent une saveur extrêmement désagréable et les rendent impropres aux usages domestiques. La plus abondante de ces substances est le sel ordinaire, dont le rôle est d'assurer l'incorruptibilité des océans, malgré les pourritures qui s'y forment aux dépens des innombrables populations marines, et malgré les immondices de toute nature que les fleuves, ces grands assainisseurs des continents, y déversent sans repos comme dans un égout commun.
La salure des mers est variable elle est d'autant plus forte, en général, que la région considérée reçoit par ses affluents moins d'eau douce, et se trouve soumise à une évaporation plus rapide. Un litre d'eau de la mer Caspienne contient 6 grammes environ de matériaux salins ; un litre de la mer Noire en contient 18 ; de l'Atlantique, 32 ; de la Méditerranée, 44. La mer Morte est tout à fait exceptionnelle sous le rapport de son degré de salure. On trouve dans ses eaux jusqu'à 400 grammes de substances salines par litre.
On a cherché à évaluer, par à peu près, la quantité totale de sel contenue dans les mers. Si les océans laissaient à sec toutes leurs matières salines, ces matières suffiraient pour bâtir une montagne de 1,500 mètres au moins d'élévation et couvrant de sa base une étendue équivalente à celle de l'Amérique du Nord : ou bien encore, la masse de sel pourrait recouvrir la surface entière de la terre d'une couche uniforme de dix mètres d'épaisseur.
Vue en petite quantité, l'eau semble incolore ; vue en grande masse, elle apparaît avec sa coloration naturelle, qui est le bleu verdâtre. La mer est donc d'un bleu virant au vert, plus foncé au large, plus clair près des côtes. Mais cette coloration se modifie beaucoup, suivant l'état de la surface des eaux, et suivant l'éclat du ciel. Sous un soleil vif, la mer tranquille est tantôt d'un bleu tendre, tantôt d'un indigo foncé ; sous un ciel orageux, elle devient vert bouteille et passe presque au noir.
La mer peut encore présenter d'autres teintes qui tiennent à des causes purement locales, par exemple à la nature du fond, à des sables diversement colorés, à des animalcules, à des végétaux très-petits pullulant dans ses eaux. C'est ainsi que l'apparence sanguinolente que prennent parfois certains parages de la mer Rouge est causée par d'innombrables filaments d'un tout petit végétal teint de pourpre. La mer Vermeille, près de la Californie, doit sa coloration à des animalcules rouges.
D'autres animaux rendent la mer lumineuse. Vous connaissez le ver luisant, ce curieux insecte qui, dans les soirées d'été, brille au milieu des herbes, comme une étincelle tombée des étoiles. L'insecte, malgré la vive lueur qu'il répand, ne brûle pas pour cela comme brûle un charbon allumé ; il n'est pas plus chaud que s'il restait obscur. Il peut même devenir lumineux ou obscur à volonté, preuve que la lumière qu'il répand est le résultat d'un acte entièrement sous sa dépendance. On donne le nom de phosphorescence à cette lumière d'origine vivante, non pour rappeler qu'elle soit donnée par du phosphore, car il n'y en a aucune trace dans la matière lumineuse du ver luisant, mais à cause de sa ressemblance avec les lueurs que jette le phosphore dans l'obscurité.
Les mers, surtout dans les régions chaudes, sont extrêmement riches en espèces animales phosphorescentes. Les plus remarquables sont les noctiluques, dont le nom signifie lumineux de nuit, et les pyrosomes, dont le nom signifie corps embrasé. Les noctiluques sont de petits points glaireux, transparents et terminés par un filament mobile ; cinq de ces animalcules placés bout à bout mesureraient un millimètre. Les pyrosomes ont la forme de cylindres creux de la grosseur du doigt. Ils sont aussi gélatineux et transparents.
source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874