Aurore, accompagnée de ses trois amies, avait fait une promenade aux champs, cueillant diverses plantes qu'elle désirait leur faire connaître, les plantes vénéneuses surtout, dont il importe tant de se méfier. Le gros bouquet cueilli fut le sujet de la conversation du soir.
— Cette plante-ci, disait Aurore, se nomme la belladone, C'est une herbe assez grande, à fleurs rougeâtres et en forme de petites cloches. Les feuilles sont ovales, aiguës au sommet. Toute la plante possède une odeur nauséabonde et présente un aspect sombre, comme pour annoncer le poison qu'elle recèle. Les fruits surtout sont dangereux. Ils sont ronds, d'un noir violet et ressemblent à des cerises. Cette ressemblance, rendue plus grande par une saveur douceâtre, peut tenter les pauvres étourdies et amener des accidents lamentables, car ces prétendues cerises sont un poison mortel. Méfiez-vous, mes enfants, de la terrible belladone quand vous la trouverez dans les bois ; n'allez pas prendre pour des cerises des fruits qui vous tueraient. L'agrandissement de l'ouverture de l'œil ou pupille, et le regard fixe, hébété, sont les caractères de l'empoisonnement par la belladone.
Voici maintenant là jusquiame, qui vient habituellement sur le bord des chemins ou le long des murs, parmi les décombres, à proximité des habitations. Ses feuilles sont grandes, molles, velues, visqueuses, et profondément dentées sur les bords. Froissées entre les mains, elles répandent une odeur nauséabonde. Les fleurs sont disposées toutes à peu près du même côté, et leur ensemble se recourbe en forme de crosse. Elle sont jaunes avec des veines noires. A ces fleurs succèdent des fruits d'une forme remarquable. Ils consistent en une espèce de sac aride, recouvert en grande partie par le calyce, qui s'étale au sommet en cinq dents pointues. Au centre de ces dents est l'orifice du sac, fermé par un couvercle rond et bombé, qui se détache tout d'une pièce à la maturité et livre passage à d'innombrables petites graines. Ces fruits à couvercle, rappelant un petit pot fermé, vous permettront de reconnaître aisément la malfaisante jusquiame.
La stramoine n'est pas moins facile à reconnaître à ses fruits hérissés de robustes piquants et de la grosseur d'une moyenne pomme, ce qui a valu à la plante le nom vulgaire de pomme-épineuse. Les feuilles sont amples, de teinte sombre, d'odeur repoussante. Les fleurs sont de longs entonnoirs, tantôt blancs, tantôt violacés, et relevés de cinq plis longitudinaux, d'autant plus prononcés que la corolle est moins épanouie. Le feuillage ainsi que la tige prennent quelquefois aussi la coloration violacée. La stramoine est une plante des plus redoutables. Elle atteint près d'un mètre de hauteur et habite comme la jusquiame, les décombres des bords des chemins.
Par leur aspect sombre et la mauvaise odeur de leur feuillage, les trois plantes dont je viens de vous parler nous mettent en garde contre leurs mortelles propriétés ; mais très-fréquemment rien n'annonce le danger. Des fleurs élégantes, un feuillage gracieux, peuvent très-bien accompagner un violent poison. Voyez, par exemple, la digitale, qui élève à un mètre et plus de hauteur sa superbe quenouille de fleurs rouges, tigrées au dedans de pourpre et de blanc. Ces fleurs ont la forme de longs grelots ventrus ou plutôt de doigts de gant ; aussi désigne-t-on la plante par différent noms qui font tous allusion à cette particularité : on l'appelle indifféremment gantelée, gants de Notre-Dame, doigts de la Vierge, doigtier. Le nom de digitale, emprunté au latin, rappelle également la fleur configurée en forme de doigt. Voilà certes une magnifique plante, qui fait plaisir à voir quand on la rencontre sur la lisière des bois. Elle est cependant très-vénéneuse. Elle a la singulière propriété de ralentir les battements du cœur et finalement de les arrêter. Il est inutile de vous dire que lorsque le cœur ne bat plus, on est perdu.
Les aconits sont, avec la digitale, de magnifiques plantes que leur beauté fait admettre dans les parterres malgré la violence de leur poison. On les trouve dans les contrées montueuses. Leurs fleurs sont bleues ou jaunes, en forme de casque, et disposées en une élégante grappe terminale du plus bel effet. Leurs feuilles d'un vert lustré, sont découpées en lanières rayonnantes. Les aconits sont très-vénéneux. La violence de leur poison leur a fait donner le nom de tue-loup. L'histoire dit qu'autrefois on trempait la pointe des flèches et des lances dans le suc des aconits, afin d'empoisonner les blessures faites avec ces armes et de les rendre mortelles.
La ciguë est plus dangereuse encore. Son feuillage, découpé menu, ressemble à celui du cerfeuil ou du persil. Cette ressemblance a souvent causé de fatales méprises, d'autant plus faciles que la terrible plante vient dans les haies de clôture, et même dans nos jardins. Un caractère assez net permet cependant de distinguer l'herbe vénéneuse des deux plantes potagères qui lui ressemblent : c'est l'odeur. Froissez cette touffe de ciguë dans vos mains, et flairez.
Chacune flaira la touffe de ciguë, non sans une petite grimace de dégoût. — Ouf ! Fit Marie, cela sent bien mauvais ! Le persil et le cerfeuil n'ont pas cette odeur déplaisante. Quand on est avertie, il est impossible de s'y tromper.
— Oui, reprit Aurore, quand on est avertie ; mais les personnes qui ne le sont pas ne tiennent aucun compte de l'odeur et prennent de la ciguë pour du persil ou du cerfeuil. C'est pour être averties que vous m'écoutez ce soir.
On distingue deux espèces de ciguë. L'une, appelée la grande ciguë, vient dans les lieux humides et incultes. Elle a beaucoup d'analogie avec le cerfeuil ; ses tiges sont marquées de taches noires ou rougeâtres. L'autre, appelée petite ciguë, ressemble au persil : elle vient dans les champs cultivés, les haies, les jardins. Toutes les deux ont une odeur nauséabonde.
Voici maintenant une plante vénéneuse très-facile à reconnaître. C'est l'arum, ou, comme on dit vulgairement, le gouet ou pied-de-veau. Les feuilles sont très-amples et ont la forme d'un grand fer de lance. La fleur est construite sur le modèle d'une oreille d'âne. C'est un grand cornet jaunâtre, ouvert sur le côté, et du fond duquel s'élève une baguette charnue que l'on prendrait pour un petit doigt de beurre. A cette fleur bizarre succède une grappe de fruits d'un rouge superbe. Toute la plante a une saveur brûlante insupportable, notamment la baguette charnue qui s'élève du fond du cornet et que quelque étourdie pourrait prendre pour chose bonne à manger, à cause de ses appétissantes apparences d'un doigt de beurre. La bouche en feu et la langue endolorie, comme par le contact d'un charbon ardent, ne tarderaient pas à lui faire reconnaître sa méprise. Avant d'abandonner l'arum, je vous ferai connaître une bien curieuse propriété de cette plante. Au moment de la floraison, la baguette charnue, le doigt de beurre, s'échauffe de lui-même et acquiert une température très-sensible à la main. Si vous voulez jamais constater la chose, vous trouverez l'arum au printemps dans la plupart des haies. Vous pouvez sans danger aucun manier la plante ; mais gardez-vous d'en mettre n'importe quelle partie à la bouche.
On retrouve une saveur brûlante pareille à celle de l'arum dans le suc blanc, semblable à du lait, qui s'écoule des euphorbes quand on les coupe. Les euphorbes sont des plantes de pauvre apparence, très-communes partout. Leurs fleurs, petites et jaunâtres, sont groupées en une tête dont les branches égales rayonnent au sommet de la tige. On reconnaît aisément ces plantes à leur suc blanc, à leur lait, qui s'écoule en abondance des tiges coupées. Ce suc est dangereux, même sur la peau seule, si elle est tendre ; son goût est d'une âcreté brûlante.
On cultive dans les jardins un arbrisseau à grandes feuilles luisantes qui ne tombent pas l'hiver, et à fruits noirs, ovales, gros comme des glands. C'est le laurier-cerise. Toutes ses parties, feuilles, fleurs et fruits, ont l'odeur des amandes amères et des noyaux de pêche. On emploie quelquefois les feuilles du laurier-cerise pour communiquer leur parfum aux crèmes et au laitage. On ne doit le faire qu'avec beaucoup de prudence, car le laurier-cerise est extrêmement vénéneux. On dit même qu'il suffit de rester quelque temps sous son ombrage pour être indisposé par ses émanations à odeur d'amandes amères.
En automne se voit en abondance, dans les prairies humides, une grande et belle fleur rose ou lilas, qui s'élève de terre toute seule, sans tige, sans feuilles. La plante cependant a des feuilles, fort grandes même ; mais ces feuilles naissent bien longtemps après les fleurs et ne se montrent que le printemps suivant, lorsque depuis près de six mois les fleurs ont disparu. C'est le colchique, appelé aussi safran des prés, ou bien encore veillotte, veilleuse, parce qu'il fleurit à l'époque où commencent les veillées de la froide saison. Si l'on creuse à un peu de profondeur, on trouve que cette fleur part d'un oignon assez gros, recouvert d'une peau brune. Le colchique est vénéneux aussi les vaches ne le broutent jamais. Son oignon est plus vénéneux encore.
source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874