Sous les noisetiers du jardin, un soir, Aurore parlait du firmament. La Lune semblait courir dans le ciel au delà des nuages, qui, tantôt pénétrés de clarté prenaient le mol aspect d'une blanche toison, tantôt plus épais et ténébreux cachaient l'astre derrière leur mobile rideau. Puis, au milieu d'une éclaircie, la Lune reparaissait dans sa pleine sérénité.

AUGUSTINE. — Voyez donc comme la Lune court ! On dirait qu'elle joue à cache-cache d'un nuage à l'autre.

AURORE. — Ce n'est pas la Lune qui chemine ainsi ; ce sont les nuages chassés par le vent. Il suffit de regarder à travers le branchage d'un arbre pour reconnaître que les nuées seules sont en mouvement et non l'astre lui-même ; on voit alors les nuages courir derrière les branches, tandis que la Lune reste au repos. Jugez-en vous-mêmes à travers la ramée des noisetiers.

Toutes regardèrent et reconnurent aussitôt que les nuages courent et non la Lune.

AUGUSTINE. — Voilà qui est singulier à travers les branches, je ne vois plus la Lune courir. Ce sont les nuages, au contraire, qui changent bel et bien de place.

CLAIRE. — Vous devriez bien, tante Aurore, nous raconter, l'histoire de la Lune, maintenant que nous avons assez regardé les beaux nuages blancs qui courent devant elle.

AURORE. — Bien volontiers, ma chère enfant. Informons-nous d'abord de la distance. De tous les astres du firmament, la Lune est notre plus proche voisin. Elle est éloignée de quatre-vingt-seize mille lieues seulement. C'est un peu plus de neuf fois le tour du globe terrestre, et un peu moins de dix fois.

MARIE. — C'est une belle distance, pour notre plus proche voisin.

AURORE. — J'en conviens, mais c'est bien peu par rapport à l'éloignement du Soleil. Une locomotive lancée avec la vitesse de 15 lieues par heure ferait en neuf mois un parcours égal à celui de la Terre à la Lune ; elle emploierait plus de trois cents ans, vous le savez déjà, pour franchir la distance de la Terre au Soleil.

MARIE. — Toute rapprochée qu'elle est nous ne la voyons que comme un rond de deux pans de largeur au plus.

AURORE. — Cela prouve qu'elle est très-petite. Une cerise par rapport à une pêche, telle est à peu près en grosseur la Lune par rapport à la Terre. Qu'est-elle donc l'égard du Soleil, en comparaison duquel la Terre elle-même n'est qu'un grain de blé mis en présence de quatorze décalitres ? Il faudrait 49 globes comme la Lune pour faire la boule terrestre ; il en faudrait 69 millions pour faire le Soleil. Malgré sa belle apparence, due à sa proximité, vous voyez que la Lune fait assez pauvre figure quand on la compare telle qu'elle est néanmoins c'est un fort joli petit globe de 2,700 lieues de tour et d'une superficie égale à 41 fois environ l'étendue de la France.

Tandis que la Terre voyage autour du Soleil, la Lune l'accompagne et circule autour d'elle dans l'intervalle de quatre semaines environ. D'autre part, c'est un globe non lumineux par lui-même, qui brille d'un éclat d'emprunt lui venant des rayons du Soleil. A cause de sa position changeante, la Lune nous présente donc tantôt sa moitié éclairée tantôt sa moitié obscure, tantôt une portion de l'une et de l'autre à la fois. Si elle tourne vers nous sa moitié illuminée, elle est visible en plein ; si elle nous présente sa moitié non éclairée, elle est totalement invisible, bien qu'aucun obstacle ne soit interposé entre elle et le regard ; enfin, si elle tourne de notre côté partie de la moitié obscure et partie de la moitié illuminée, elle se montre sous la forme d'un croissant plus ou moins large. Ces aspects variables, qui recommencent dans le même ordre toutes les quatre semaines, se nomment les phases de la Lune. Pour bien en comprendre la cause, d'autres explications sont nécessaires. Je vais vous les donner. Claire, allez chercher une lampe allumée.

La lampe fut apportée et mise au milieu de la pelouse du jardin. Considérons comme Soleil, comme source de lumière, dit Aurore, la lampe que voilà. Vous, Claire, vous serez la Terre ; et Augustine, plus petite, représentera la Lune. Que Claire circule à distance autour de la lampe, en pirouettant sur les talons. La promenade autour de la lampe figurera le voyage de la Terre autour du Soleil ; les pirouettes représenteront la rotation du globe sur lui-même pour l'alternative du jour et de la nuit. Tout cela doit être fait sans précipitation, avec une extrême lenteur même, puisque une seule pirouette de la Terre dure vingt-quatre heures, et son voyage autour du Soleil un an.

Après quelques essais et non sans quelques éclats de rire provoqués par la valse autour de la lampe, Claire s'y prit comme il fallait. Maintenant, à vous, dit Aurore ; faites votre office de Lune, ma petite Augustine ; tournez avec lenteur autour de Claire ; maintenez-vous toujours à la même distance, et progressez petit à petit, tout en tournant, pour l'accompagner à mesure qu'elle avance. Et surtout ne vous pressez pas : la Lune a quatre semaines pour faire un seul tour. — Voilà qui est bien ; nous y sommes ; les rouages de notre firmament marchent à souhait. Sans discontinuer ses mouvements, que Claire observe Augustine et nous dise ce que, dans sa compagne, elle voit d'éclairé par la lampe.

CLAIRE. — A présent, Augustine passe entre la lampe et moi. Je ne vois rien d'éclairé en elle, puisqu'elle me tourne le côté opposé à la lampe.

AURORE. — Pareillement, lorsqu'elle passe entre la Terre et le Soleil, la Lune tourne vers nous sa moitié non illuminée, et de la sorte n'est pas visible. C'est l'époque de la nouvelle lune.

CLAIRE. — Augustine est un peu de côté, à ma gauche. Je commence à voir le bord de sa figure éclairé.

AURORE. — C'est le croissant de la Lune en son début.

CLAIRE. — A présent qu'elle est tout à fait à ma gauche, je vois juste la moitié d'Augustine dans la lumière.

AURORE. — C'est l'époque du premier quartier la Lune apparaît comme un demi-cercle brillant.

CLAIRE. — Augustine a passé tout à l'opposé de la lampe ; je suis entre les deux. Je la vois maintenant en plein, parce qu'elle tourne vers moi précisément ce qui fait face à la lampe.

AURORE. — De même, lorsqu'elle se trouve, par rapport à la Terre, du côté opposé au Soleil, la Lune nous montre toute sa moitié illuminée. C'est l'époque de la pleine lune.

CLAIRE. — Augustine est à ma droite. Je ne vois d'elle que la moitié.

AURORE. — Voilà l'époque du second quartier .

CLAIRE. — A mesure qu'Augustine revient se mettre entre la lampe et moi, je vois décroître la portion illuminée.

AURORE. — De la même manière s'amoindrit le croissant à mesure que la Lune s'achemine vers la position entre le Soleil et la Terre. Quand elle y arrive, elle est de nouveau totalement invisible, et ses phases recommencent, de vingt-huit jours en vingt-huit jours, dans l'ordre invariable dont je viens de vous donner un aperçu. — J'espère que vous avez toutes compris ; le firmament improvisé peut alors se dissoudre.

Augustine et Claire cessèrent leurs évolutions autour de la lampe. En fidèles compagnes, la Terre et la Lune s'embrassèrent ; et Marie, d'un souffle, éteignit le Soleil.

source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874