Au milieu d'une nappe d'eau bien tranquille, laissons tomber une pierre. Aussitôt, autour du point atteint, un rond se forme, puis deux, trois, quatre, cent, indéfiniment ; et tous, s'élargissant sans cesse, courent avec une parfaite régularité à la file l'un de l'autre, jusqu'à ce qu'ils se dissipent à une distance considérable du point de départ commun, si rien n'entrave leur propagation. Mille fois vous avez vu ce curieux spectacle de l'eau ébranlée en cercles concentriques dont la précision défierait le compas ; vous avez suivi d'un regard étonné la singulière évolution de ces ronds, qui naissent un à un du même centre, se rangent avec ordre et fuient de plus en plus grands. Tout cela vous est connu, et vous vous demandez, sans doute, dans quel but j'appelle aujourd'hui votre attention sur ce fait, objet tout au plus d'un passe-temps puéril.
MARIE. — Lorsque tante Aurore parle, elle a toujours un but sérieux. Nous ne doutons pas que les ronds sur l'eau dont vous nous rappelez le souvenir n'aient leur importance.
AURORE. — Oui, certes ; et une très-grande. A ces ronds se rattache d'une étroite manière la cause du son, de la voix, de la parole. C'est ce que je vais vous expliquer mais avant, rendons-nous compte de ce qui se passe à la surface de l'eau mise en mouvement par la chute d'une pierre.
Un peu d'attention suffit pour reconnaître que les ronds formés autour du point où la pierre a plongé se composent alternativement d'une petite vague et d'un sillon circulaires ; de sorte que la surface de l'eau, d'abord tranquille et plane, est maintenant soulevée, en certaines parties, au-dessus de son niveau primitif, et abaissée, en d'autres, au-dessous de ce niveau. Un léger corps flottant, un brin de paille, peut très-bien rendre sensible cette petite tempête, car chaque vague qui passe le soulève, et chaque sillon le fait redescendre. Il faut remarquer, en outre, que malgré la rapidité apparente des vagues qui devraient l'entraîner, le brin de paille ne change pas de place ; preuve évidente que ces vagues ne courent réellement pas à la surface de l'eau, comme les apparences le font croire.
Si les vagues et les sillons ne courent pas en effet, que se passe-t-il donc ? — Il s'effectue un simple mouvement de palpitation, c'est-à-dire qu'en chaque point l'eau se soulève et s'affaisse tour à tour sans changer de place. Ce mouvement de palpitation débute au point atteint par la pierre et se communique de proche en proche dans l'eau voisine, de telle sorte que les vagues et les sillons qui en résultent semblent se poursuivre réellement. Alternativement l'eau est refoulée sur elle-même, ce qui produit les vagues ; puis affaissée, ce qui produit les sillons.
Dans l'air, à la suite d'un ébranlement convenable, a lieu un mouvement de palpitation semblable à celui de l'eau. Tour à tour, chaque couche d'air reflue sur elle-même et se condense, puis se détend et se dilate. On ne voit pas, il est vrai, les vagues concentriques engendrées par ce mouvement, à cause de l'invisibilité de l'air lui-même, mais on les entend, car elles sont la cause du son. Le nom d'ondes, que l'on donne aux couches d'air alternativement condensées et dilatées qui produisent le son, vous montre l'étroite ressemblance qu'on a su reconnaître entre le mouvement sonore de l'air et le mouvement qui fait naître, à la surface de l'eau, des vagues et des sillons, ou bien encore des ondes.
En l'absence de l'eau, les ondes liquides seraient impossibles c'est de pleine évidence. En l'absence de l'air, les ondes sonores le seraient également. Sans l'atmosphère, le son n'existerait pas ; la parole nous serait inconnue ; un morne silence régnerait perpétuellement sur la terre. Une expérience bien concluante le prouve. — Si l'on suspend, avec un fil, une clochette au centre d'un vase en verre, et qu'on agite le tout, on entend très-bien la clochette tinter, même quand le vase est exactement fermé. L'air contenu dans le vase transmet son mouvement à l'air extérieur par l'intermédiaire des parois du vase, et les pulsations sonores arrivent jusqu'à l'oreille. Mais si, à l'aide d'une pompe nommée pompe pneumatique, on retire tout l'air du vase, le son devient impossible. A chaque secousse imprimée au vase, on voit bien le battant frapper contre la clochette, mais on n'entend plus rien. Un complet silence s'est fait, parce que les pulsations sonores ne peuvent plus se former la clochette est devenue muette, parce qu'elle ne peut plus produire des ondes sonores, l'air manquant autour d'elle. Mais laissons l'air rentrer dans le vase aussitôt le son renaît, tout aussi distinct qu'au début.
Pour entrer dans ce mouvement de palpitation qui produit le son, l'air doit être ébranlé par le choc d'un corps, de même que l'eau, pour se couvrir d'ondes, doit être ébranlée par la chute d'une pierre. Effectivement, tout corps, lorsqu'il engendre un son, est animé d'un rapide mouvement de va-et-vient qu'on peut reconnaître dans une corde de violon ou de piano qui résonne. Ces allées et venues rapides se nomment vibrations. Si, pendant qu'il résonne, on touche légèrement du doigt un corps sonore, on sent un vif frémissement causé par les vibrations ; mais en appuyant davantage, les vibrations sont arrêtées, et le corps ne résonne plus. Il suffit de faire tinter un verre pour s'assurer que le son a bien pour cause un mouvement vibratoire ; car, dès que ce mouvement est étouffé par le contact de la main, le son se tait à l'instant.
Pour se propager au loin, à partir de leur centre de formation, les ondes liquides mettent un certain temps ; le regard les voit cheminer et peut juger de leur rapidité. Les ondes sonores en font autant elles gagnent de proche en proche des points plus éloignés, avec une vitesse qu'il est assez facile de mesurer. Voici comment si jamais vous avez prêté attention à la décharge d'une arme à feu, faite à une distance un peu considérable de vous, vous avez dû observer qu'on aperçoit d'abord la lueur de l'explosion, et que le bruit n'arrive qu'après, et d'autant plus tard que le lieu de l'explosion est plus éloigné. La lumière parcourt un immense trajet en un temps excessivement court, plus de 78,000 lieues par seconde. La lueur de l'explosion parvient donc à l'œil de l'observateur placé à distance à l'instant même où elle jaillit ; si le son n'arrive qu'après, c'est qu'il est beaucoup moins rapide dans sa marche, et que, pour franchir une distance un peu forte, il met un temps assez long qu'on peut très-bien mesurer. Supposons que dix secondes s'écoulent entre l'instant de l'apparition de la lueur et l'instant de l'arrivée du son. Mesurons alors la distance qui sépare le point où l'explosion a eu lieu et le point où on l'a entendue. Nous trouverons 3,400 mètres ; par conséquent, le son parcourt dans l'air, en une seule seconde, une distance de 340 mètres.
Revenons encore sur les ondes provoquées, à la surface d'une eau tranquille, par la chute d'une pierre. Si la nappe d'eau est barrée par un mur, ainsi que dans un bassin, par exemple, les ronds, en s'élargissant, finissent par atteindre cet obstacle. Arrivés là, ils rétrogradent, ils cheminent en sens inverse de leur première direction, sans altérer en rien la régularité de leur marche. Alors, en même temps, deux séries d'ondes courent la surface de l'eau les unes s'acheminent vers le mur, les autres en reviennent ; et toutes ces ondes, allant et revenant se croisent sans se troubler, sans se confondre. On donne le nom d'ondes réfléchies, c'est-à-dire renvoyées, aux ondes qui reviennent en arrière après avoir frappé contre le mur.
Les ondes aériennes, cause du son, se réfléchissent aussi quand elles rencontrent un obstacle, comme un mur, un rocher, une colline. Alors, outre le son direct, formé par les ondes qui vont, il s'en produit un autre, nommé écho, par les ondes, qui reviennent ; le son est ainsi entendu deux fois. Plusieurs obstacles qui se renvoient de l'un à l'autre les ondes sonores et les font passer à diverses reprises par le lieu où se trouve l'auditeur produisent des échos multiples, c'est-à-dire qui répètent plusieurs fois la même syllabe. On en connaît qui la répètent jusqu'à quarante fois.
source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874