Le vent est de l'air qui se déplace ; c'est un torrent atmosphérique qui, né d'un manque d'équilibre, coule et se précipite vers des régions nouvelles. Sa principale cause est l'inégale distribution de la chaleur à la surface du sol. En s'échauffant, l'air devient plus léger et s'élève, aussitôt remplacé par l'air froid environnant. Quelques exemples vont graver ce fait important dans notre mémoire.

Lorsque, au-dessus d'un poêle allumé, on secoue un papier enflammé, on voit les parcelles carbonisées s'élever comme entraînées par un courant. Ce courant est produit par l'air, qui s'échauffe au contact du poêle. C'est encore par l'air chaud ascendant que la fumée est entraînée dans le conduit d'une cheminée. Mais de tous les exemples qu'on pourrait choisir parmi ceux qui sont à votre portée, le plus remarquable est celui-ci :

En hiver, ouvrons la porte qui fait communiquer un appartement chauffé avec un autre qui ne l'est pas ; et présentons une bougie allumée, tantôt au haut de l'ouverture de la porte, tantôt au bas. Dans le premier cas, nous verrons la flamme de la bougie se diriger de l'appartement chauffé vers l'appartement froid dans le second cas, ce sera le contraire la flamme se dirigera de l'appartement froid vers celui qui est chaud.

Cette double direction de la flamme en sens diamétralement opposés accuse deux courants l'un d'air chaud, à la partie supérieure de la porte, où la flamme est chassée de l'appartement chauffé vers celui qui ne l'est pas ; et l'autre d'air froid, à la partie inférieure de la porte, où la flamme se dirige de l'appartement froid vers celui qui est chaud.

Les mêmes faits se reproduisent à la surface de la terre entre deux régions voisines à inégale température. Il s'établit entre elles deux courants aériens, l'un inférieur dirigé de la région froide vers la région chaude  l'autre supérieur dirigé de la région chaude vers la région froide. Il n'est pas rare de pouvoir constater, à l'aide des nuages, la marche inverse des deux courants atmosphériques. On voit, en effet, les nuages des régions élevées se diriger dans un sens, et ceux des régions inférieures se diriger dans l'autre.

Demandons-nous quel est le rôle du vent dans l'harmonie générale de ce monde. En nous plaçant au point de vue d'un sot égoïsme, en voulant tout rapporter d'une manière trop directe à notre bien-être personnel, nous avons sur beaucoup de choses les idées les plus fausses. Ainsi, dans le cercle étroit de nos impressions et de nos intérêts personnels, le vent n'est-il pas, d'ordinaire, nuisible ou du moins désagréable, et ne le supprimerions-nous pas volontiers, si c'était en notre pouvoir ? C'est tantôt, en effet, la bise, âpre, glacée, qui nous transit de froid, nous endolorit la poitrine et meurtrit les pousses encore tendres de la végétation printanière ; c'est tantôt le souffle du midi, qui énerve, rend la tête lourde et la pensée paresseuse ; c'est encore la tempête, qui couche les récoltes, ravage les plantations, suscite les fureurs de la mer et engloutit les navires dans les flots ; c'est l'ouragan enfin, qui abat les édifices et saccage des villes entières. Ah ! quelle triste chose que le vent !

Mais attendez un peu ; examinons ensemble ce qui pourrait arriver si le vent ne soufflait plus. Imaginons donc qu'un calme parfait règne sans discontinuer dans toute l'atmosphère. — Aussitôt les émanations malsaines que ne balaye plus le souffle du vent s'accumulent sur les villes populeuses. L'air, corrompu par la décomposition des matières animales et végétales, vicié par la respiration elle-même, devient un foyer de peste, et le fléau né de la corruption sévit dans le monde entier.

Ce n'est pas tout. La mer est le réservoir d'où la chaleur solaire fait monter ces immenses amas de vapeur que le vent charrie, au-dessus des continents, sous forme invisible ou sous forme de nuages. Tôt ou tard, ces vapeurs se résolvent en pluies, qui fécondent le sol et aliment les fleuves, les sources, les fontaines. En l'absence du vent, les vapeurs s'élèveront toujours de la surface des mers ; mais, n'étant plus poussées au-dessus de la terre ferme, elles retomberont en pluies inutiles sur les eaux qui les ont fournies. Tous les fleuves, si grands qu'ils soient, tariront donc jusqu'à la dernière goutte, car toute l'eau des continents se rend à la mer, et ne peut en revenir sans le secours des vents. Les ruisseaux, les sources, les puits, tariront également ; le sol ne conservera plus aucune trace d'humidité. Mais sans eau tout ce que la terre nourrit doit mourir.

Ainsi sans le vent la végétation est impossible, faute d'eau ; les diverses races animales sont vouées à la destruction ; l'humanité entière est moissonnée par la famine et la peste ; la terre ferme enfin n'est plus qu'un désert altéré d'où la vie est à jamais bannie.

Que notre souhait était imprudent ! Demander à Dieu la suppression du vent, ce serait lui demander la dépopulation de la terre. Remercions-le, au contraire, des vents qui recueillent les vapeurs de la mer et les amènent sans relâche au-dessus des continents pour les vivifier en y déversant la pluie ; remercions-le de la tempête et de l'ouragan, ces indomptables souffles qui remuent l'atmosphère de fond en comble et en dissipent les miasmes pestilentiels.

source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874