La couche d'étoiles ou la nébuleuse dont nous faisons partie dessine autour de nous sur le firmament une zone circulaire, parce que nous sommes placés au sein même de l'amas. La voie lactée est un effet de notre point de vue central ; mais si nous étions placés bien loin hors de la couche, l'aspect serait tout différent. Supposons-nous donc en face de la meule stellaire, en dehors à une médiocre distance. La nébuleuse est alors un immense disque de points lumineux, couvrant tout le ciel de son orbe.
Éloignons-nous encore, éloignons-nous toujours. Le disque stellaire s'amoindrit ; ses points lumineux se rapprochent, se touchent, se confondent en une commune lueur laiteuse. Enfin, quand la distance est suffisante, le prodigieux amas de soleils n'est qu'une blanche nébulosité grande comme la paume de la main. Le calcul démontre qu'à une distance de 334 fois sa plus grande dimension, il serait vu comme une pièce de cinq francs à une douzaine de mètres de distance.
Il ne nous est pas donné de contempler en réalité notre nébuleuse, resserrée, par l'éloignement, dans un espace aussi étroit ; la raison, toutefois, aidée par le calcul, s'en fait une juste image. Elle voit l'incommensurable couche, où les soleils se comptent par millions et millions, perdue insignifiante dans un coin de l'étendue ; elle l'aperçoit. comme une tache arrondie dont la vague clarté rappelle, les lueurs mourantes du phosphore.
Or, de la Terre, avec un bon télescope, on peut voir réellement ce que la raison voit en esprit lorsqu'elle se figure notre nébuleuse à distance. Dans une foule de régions du ciel, bien au delà de notre couche d'étoiles, l'instrument nous montre des taches lumineuses, de faibles nuages d'aspect laiteux. Ce sont des amas d'étoiles comparables au nôtre. Dans les profondeurs explorées jusqu'ici par les astronomes, on en compte quatre milliers et plus. Leur nombre, du reste, s'accroît à mesure que l'on emploie des télescopes doués d'un plus grand pouvoir de pénétration. Très-peu, à cause de la faiblesse de leur éclat et de leurs dimensions apparentes, sont perceptibles à la vue simple ; il faut les meilleures lunettes pour les apercevoir.
Avec un grossissement médiocre, ce sont de petits flocons de nuages d'une pâle et douce lueur. Malgré soi, on retient son souffle de peur d'éteindre la délicate apparition. Mais que le grossissement augmente, et aussitôt la réalité. se dévoilant, vous saisit de stupeur. Chacun de ces flocons lumineux, que l'on craindrait de voir s'évanouir sous le souffle, est un amoncellement de soleils ; la nébulosité, d'abord lueur continue, se résout en fourmilière de points brillants isolés, en étoiles comme le fait la voie lactée. Vainement on essayerait d'évaluer le nombre de ces soleils.
Notre nébuleuse, cause de la voie lactée, n'est donc pas la seule. Il y a çà et là dans les champs du ciel, en nombre que l'homme probablement ne déterminera jamais, d'autres amas stellaires séparés par d'immenses étendues vides ; et l'univers est alors comparable à un océan sans rivages connus, ayant pour archipels d'insondables amas de soleils. Ces archipels célestes affectent toutes sortes de formes. Les uns sont globulaires, tantôt parfaitement sphériques, tantôt allongés en ovales. D'autres s'épanouissent en aigrette, se courbent en couronne, s'allongent en simples lignes lumineuses, droites ou serpentantes. Quelques-uns, autour d'un centre commun, groupent leurs étoiles en épaisses traînées spirales. On croirait voir des pièces d'artifice dont les spires de feu lanceraient des soleils pour étincelles. Quant à leur distance, elle est telle que la lumière met un million d'années au moins pour nous parvenir des plus rapprochées.
Mais je m'arrête : ce que l'astronomie nous enseigne sur la constitution de l'univers accable l'entendement et ne laisse place en notre âme qu'à un élan de religieuse admiration envers l'auteur de ces merveilles, envers Dieu, dont la puissance sans bornes a peuplé les abîmes de l'étendue d'incommensurables amas de soleils.
source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874