Par une nuit sereine, qui n'a remarqué cette écharpe lumineuse, pareille a une traînée phosphorescente, qui ceint le ciel d'un bout à l'autre ? Les astronomes l'appellent la voie lactée ; le vulgaire, le chemin de Saint-Jacques. A la vue simple, la voie lactée a l'aspect d'un brouillard lumineux, disposé en bande très-irrégulière. Elle fait le tour entier du ciel, qu'elle divise en deux parties à peu près égales. Sur la moitié de sa longueur, elle se partage en deux arcs qui se rejoignent par leurs extrémités, de manière qu'elle peut être comparée à une bague dont le filet métallique se dédouble et laisse une place vide pour enchâsser une pierre précieuse.

Réduit à ses seules forces, l'œil ne peut nous en apprendre davantage sur la voie lactée. Le télescope va nous dire le reste. — Si l'instrument est dirigé vers un point quelconque de la bande lumineuse, aussitôt des milliers de points brillants apparaissent là où le regard ne percevait d'abord qu'une vague clarté. C'est à la lettre une fourmilière d'étoiles, un entassement de soleils. Lorsque Herschell étudiait cette merveille du ciel, le télescope lui montrait de deux mille à trois mille étoiles dans une étendue équivalente au plus au disque de la Lune. A peine en voyons-nous autant, sans lunette, sur la voûte entière du ciel. Dans le champ du télescope immobile, les étoiles se renouvelaient sans cesse, entraînées par la rotation apparente du firmament. Herschell essaya de les compter. Il estima que, en un quart d'heure, 116,000 étoiles défilaient sous ses yeux ! Il estima que le recensement total s'élèverait au moins à 18 millions !

Un exemple emprunté à des faits qui nous sont familiers nous aidera à comprendre la constitution de la voie lactée. — Supposons une fine brume qui repose sur le sol, tout autour de nous, avec une épaisseur d'une dizaine de mètres. Du milieu de ce brouillard, indéfiniment étendu dans le sens horizontal, d'une très-faible épaisseur dans le sens vertical, quelles sont pour nous les apparences ? — Au-dessus de nos têtes, le regard plonge presque sans obstacle, à cause de la faible épaisseur de la brume ; il ne rencontre qu'un petit nombre de particules de vapeur, et le bleu du ciel nous apparaît à peine terni. Dans le sens horizontal, au contraire, la vue embrasse, suivant toutes les directions, des files indéfinies de particules brumeuses, qui se superposent en perspective commune, et, par cette superposition apparente, s'épaississent autour du spectateur en un cercle nuageux plus ou moins opaque. Ainsi donc une couche uniforme de vapeur, invisible pour nous dans le sens de sa moindre dimension, peut dessiner autour de nous, dans le sens de ses plus grandes dimensions, une zone circulaire nuageuse. Le cercle vaporeux que cerne d'ordinaire l'horizon n'a pas d'autre origine. L'horizon n'est pas en réalité plus brumeux que le lieu où nous sommes, mais c'est là que se superposent en perspective les vapeurs uniformément répandues dans la couche inférieure de l'air.

Ainsi de la voie lactée. Des millions et des millions d'étoiles, à peu près également distantes entre elles, sont disposés en amas aplati, en couche ou meule de peu d'épaisseur relativement à ses incommensurables dimensions dans les autres sens. C'est, pour me servir d'une image empruntée à l'exemple qui précède, un brouillard de soleils, bientôt limité dans son épaisseur, immense dans sa longueur et sa largeur. Notre soleil est une des étoiles de la couche ; nous occupons un point intérieur de la meule stellaire. Alors tout s'explique. Si le regard est dirigé à travers la mince épaisseur de la couche, il ne rencontré qu'un petit nombre d'étoiles, et le ciel nous apparaît dégarni dans cette direction. S'il plonge suivant la largeur de la couche, il rencontre, il côtoie tant d'étoiles, que celles-ci, superposées en perspective, semblent se toucher et se confondent en une lueur laiteuse continue. De la sorte, les plus grandes dimensions de la meule de soleils se trouvent dessinées autour de nous sur le firmament par une ceinture d'étoiles accumulées, de même que les plus grandes dimensions d'une couche de brume sont accusées par une zone circulaire de brouillards.

Ainsi toutes les étoiles que nous voyons au ciel, absolument toutes, petites et grandes, visibles ou non visibles à la vue simple, au nombre d'une quarantaine de millions pour le moins, sont disposées en amas aplati, au sein duquel, avec son cortège de planètes, notre soleil se trouve, simple unité dans le prodigieux amoncellement des soleils ses compagnons. Pour nous qui le voyons du milieu de son épaisseur, l'amas stellaire reste inaperçu dans un sens, parce qu'il est trop mince ; mais, dans l'autre, il se révèle par une condensation d'étoiles, enfin par la voie lactée. On donne à cette couche d'étoiles le nom de nébuleuse.

Dans le sens de sa largeur, dans le sens enfin de la voie lactée, la meule stellaire est environ cent fois plus étendue que suivant son épaisseur. Les dernières étoiles situées sur les confins de l'amas sont éloignées de nous d'au moins 500 fois la distance des plus voisines. Or, pour nous venir de celles-ci, la lumière emploie de 3 à 4 ans ; pour nous parvenir du fond de la voie lactée, elle met donc de 15 à 20 siècles et pour traverser de part en part la nébuleuse dans le sens de sa largeur, elle met de 3,000 à 4,000 ans pour le moins.

Si vous vous sentez, mes chères filles, quelque vigueur dans l'imagination, essayez maintenant de vous former une idée de la couche de soleils où nous sommes enfouis. Un rayon de lumière est dardé d'un bord de la nébuleuse. Il part : la foudre serait trop lente pour le suivre seule, la pensée peut rivaliser avec lui. Dans le temps que vous mettriez à épeler un de ces mots, dans une seconde. 77,000 lieues, sept à huit fois le tour de la Terre, sont franchies ; dans la seconde suivante, 77,000 lieues sont franchies encore, et toujours et toujours, car, une fois lancée, la lumière conserve une invariable vitesse. Les années s'écoulent, les siècles, les mille ans, et le rayon n'a pas atteint encore le but. C'est quatre, c'est cinq mille ans après son émission qu'il parvient au bout opposé ! Or, pour combler de soleils ces inconcevables étendues, qu'a t-il fallu, mes enfants ? Dieu dit, et cela fut.

source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874