Pour bâtir la charpente, l'extérieur du nid, les oiseaux emploient les méthodes et les matières les plus variées. L'un entrelace des bûchettes, l'autre tisse du crin et de fines racines ; celui-ci feutre des mousses, celui-là devient maçon et gâche de la terre ; en voici qui se font charpentiers, et du bec forent un trou dans la tige des arbres ; en voici d'autres qui grattent le sol et se creusent des conques dans le sable. Tout leur est bon pour le dehors du nid ; chacun, suivant sa spécialité, emploie les matériaux les plus divers et les met en œuvre d'une façon différente.

Mais pour l'intérieur, c'est autre chose : comme d'un commun accord, ils ne le composent qu'avec un petit nombre de matériaux choisis entre mille. Dans le matelas destiné à la jeune couvée, ils ne font entrer que le coton, la bourre, la laine, les plumes, le duvet, c'est-à-dire les corps aptes à conserver le mieux la chaleur. Pour entretenir dans le nid la douce température nécessaire à leurs petits nus et frileux, ils ont pour guide mieux que la science ils ont la providentielle inspiration de l'instinct, qui dévoile au pinson les secrets de la chaleur et conseille à l'hirondelle de matelasser de duvet le nid de terre, maçonné sous le rebord du toit.

Le chardonneret est un des plus habiles parmi les habiles. Son berceau de coton est un petit chef-d'œuvre d'élégance et de solidité. Il l'établit dans l'enfourchure de quelques branches, et en compose l'extérieur avec des mousses et des lichens, qui le dérobent aux regards par leur couleur semblable à celle du tronc de l'arbre. Puis, au centre de cette charpente, avec la bourre cotonneuse qui enveloppe les graines du saule et du peuplier, avec les brins de laine que les épines des haies arrachent au troupeau qui passe, avec les aigrettes plumeuses des semences des chardons, il construit, pour ses petits, un matelas en forme de coupe, si moelleux, si chaud, si douillet, que jamais fils de roi au maillot n'en a eu de pareil.

Son talent de constructeur est cependant dépassé par la mésange à longue queue et par la mésange penduline. La mésange à longue queue se distingue, comme l'indique son nom, par le développement excessif de la queue, qui fait plus de la moitié de la longueur totale du corps. Elle habite les bois pendant la belle saison, et ne vient que l'hiver dans nos jardins et nos vergers. C'est un petit oiseau, gris rougeâtre sur le dos et blanc en dessous ; sa nuque et ses joues sont blanches.

Le nid est tantôt placé dans l'enfourchure des hautes branches d'un arbuste, tantôt dans l'épais fourré d'un buisson, à quelques pieds de terre mais il est plus souvent accolé contre le tronc d'un saule ou d'un peuplier. Sa forme est celle d'un ovale allongé, ou mieux d'un énorme cocon élargi par la base. Il a son entrée sur le côté, un pouce environ du sommet de la voûte. La couche extérieure se compose de mousses et de lichens pareils à ceux qui viennent sur l'arbre servant de support, afin de se confondre avec l'écorce et de tromper le regard des passants. Des filaments de laine en retiennent toutes les parties enchevêtrées entre elles. Le dôme, pour mieux résister à la pluie, est un feutre épais de mousse et de fils d'araignée. L'intérieur ressemble à la cavité d'un four dont le sol serait excavé et la voûte très-élevée. Cette forme est la plus favorable à la conservation de la chaleur. Un lit très-épais de plumes soyeuses forme l'ameublement du nid. Là reposent seize à vingt oisillons, rangés avec ordre dans l'étroite conque, de la grandeur au plus du creux de la main. Par quel miracle de parcimonieux emménagement ces vingt petites créatures, avec leur mère, trouvent-elles place en ce logis ? Comment d'aussi longues queues peuvent-elles s'y développer ? On chercherait vainement plus belle application de l'économie de l'espace.

— Que j'aimerais à voir, fit Augustine, les vingt petites mésanges groupées en rond dans leur nid !

— J'ai eu dans le temps cette bonne fortune, reprit Aurore. Aujourd'hui encore l'émotion me gagne quand je songe aux vingt petites têtes qui se dressèrent du fond du nid, tremblotant et ouvrant le bec comme à l'approche de leur mère. Par l'orifice du four, un coup, d'œil rapide fut donné à ce gracieux spectacle, et je me retirai. Les parents étaient déjà là, la plume ébouriffée d'anxiété. Ne craignez rien, petits oiseaux si vigilants pour votre famille ; ce n'est pas Aurore qui commettra le sacrilège de toucher à vos nids. — Nous, autres non plus, se hâtèrent de dire Augustine, Claire et Marie.

— Je l'espère bien, répliqua Aurore, sinon nous ne serions plus amies.

Le nid de la mésange penduliné est encore plus remarquable. Cette mésange n'habite guère que les bords du cours inférieur du Rhône. Elle suspend très-haut son nid à l'extrémité de quelque rameau flexible d'un arbre de la rive, de manière que sa famille est mollement bercée par la brise des eaux. C'est une sorte de bourse ovale de la grosseur à peu près d'une bouteille, percée vers le haut ; et sur le flanc d'un étroit orifice qui se prolonge en un court goulot d'entrée où l'on peut au plus engager le pouce. Pour franchir ce passage, la mésange, toute petite qu'elle est, doit forcer la paroi élastique, qui cède un peu, puis se rétrécit. Cette bourse est fabriquée avec la bourre cotonneuse qui s'échappe, en mai, des chatons mûrs des peupliers et des saules. La mésange assemble et consolide les flocons cotonneux par une trame de laine ou de chanvre. Le tissu obtenu ressemble au feutre de quelque chapeau grossier. Je cherche vainement à me rendre compte de quelle manière s'y prend l'oiseau pour manufacturer, avec le bec et les pattes, une étoffe que n'obtiendrait pas l'industrieuse main de l'homme livré à ses propres ressources ; et cela, sans apprentissage aucun, sans hésitation, sans jamais l'avoir vu faire à d'autres. En son premier coup d'essai, la mésange dépasse l'art de nos ouvriers tisserands et fouleurs.

Le haut du nid comprend dans son épaisseur l'extrémité du rameau et ses dernières divisions, qui servent de charpente à la voûte. Enfin, pour plus de solidité dans l'attache, un cordage de laine et de chanvre entortille ses brins supérieurs autour du rameau, tandis que ses brins inférieurs se distribuent dans la trame du feutre. L'intérieur de la demeure est rembourré de coton de peuplier première qualité. Trois semaines du travail le plus assidu sont nécessaires à un couple de mésanges pendulines pour construire cette merveille. Le feutre en est si épais et si serré que, par les pluies les plus fortes, il n'entre pas une goutte d'eau dans la demeure de coton.

Comme les mésanges doivent être bien dans leur nid se disait Augustine. Le vent les balance doucement au-dessus des eaux ; de leur petite fenêtre, elles regardent. couler le fleuve.

source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874