On appelle teignes de petits papillons dont les chenilles. se fabriquent une demeure ambulante, un fourreau qu'elles traînent après elles et qui les recouvre presque en entier. Il y en a qui vivent dans nos greniers et se construisent un logis avec des grains de blé agglutinés entre eux ; d'autres en veulent aux étoffes, aux fourrures, aux plumes, au crin, dont elles se nourrissent en même temps qu'elles s'en font un étui pour demeure. A l'état parfait, ces destructeurs de nos étoffes, de nos habillements, de nos fourrures, sont de délicats papillons, généralement blanchâtres, qui viennent, le soir, se brûler les ailes autour de la flamme des lampes, dont l'éclat les attire. Voici les plus remarquables.
C'est d'abord la teigne du drap. Les ailes supérieures sont noires avec l'extrémité blanche. La tête et les ailes inférieures sont également blanches. La chenille se tient sur les étoffes de laine ; elle se construit un fourreau avec les débris du tissu rongé.
La teigne des pelleteries a les ailes supérieures d'un gris argenté, avec deux petits points noirs sur chacune. Sa chenille habite les fourrures, qu'elle tond poil par poil.
La teigne du crin vit, à l'état de chenille, dans le crin dont on rembourre les meubles. Elle est en entier d'un fauve pâle.
Tous ces papillons, et en général toutes les teignes, ont les ailes étroites, bordées d'une élégante frange de poils soyeux, et couchées en long sur le dos pendant le repos.
La plus à craindre est la teigne qui ronge le drap. Pour se mettre à couvert et vivre en paix, sa chenille se fabrique un fourreau avec des brins de laine coupés et hachés du tranchant des mâchoires. En moissonnant ainsi les brins un à un, la teigne rase le drap et fait place nette jusqu'à la trame. Là se borne parfois le dégât ; mais il lui arrive aussi d'attaquer les fils du tissu et de trouer l'étoffe de part en part, de sorte que le drap n'est plus qu'un haillon sans valeur. Les brins de laine hachés servent en partie de nourriture à la chenille, en partie de matériaux de construction pour le fourreau. Celui-ci est artistement façonné au dehors de brins de laine fixés entre eux au moyen d'un peu de matière soyeuse bavée par la chenille ; au dedans de soie seule, de sorte qu'une fine doublure défend la peau délicate de la teigne de tout rude contact.
L'habit de la chenille a la couleur du drap tondu ; il y en a de blancs, de noirs, de bleus, de rouges, suivant la teinte de l'étoffe. Il y en a même de bariolés de diverses couleurs, quand la chenille prend des brins de laine un peu par ci un peu par là sur une étoffe à plusieurs teintes. C'est alors une espèce d'habit d'arlequin.
Cependant la chenille grandit, et le fourreau devient trop court et trop étroit. L'allonger est facile : il suffit d'ajouter de nouveaux brins de laine à l'extrémité. Mais comment faire pour l'élargir ? Eh bien, l'industrieuse bestiole semble avoir pris conseil d'un tailleur : avec les dents pour ciseaux, elle fend son habit tout du long, et dans la fente elle ajuste une pièce neuve. La reprise est si bien faite, si bien cousue avec de la soie, que la couturière la plus habile ne conduirait pas mieux son propre travail.
Pour garantir des teignes les habillements de laine, on est dans l'usage de mettre dans les armoires qui les renferment des plantes odoriférantes, du tabac, du poivre, du camphre. On a recours encore aux fumigations de tabac, aux émanations de l'essence de térébenthine, des huiles de goudron. Mais le moyen le plus sûr et le plus efficace consiste à visiter fréquemment les étoffes, à les secouer et les battre à l'air, à les exposer à la lumière, car toutes les teignes aiment le repos et l'obscurité. C'est surtout de mai en juin qu'il faut prendre ces précautions. Il convient aussi de détruire les petits papillons blancs qu'on voit voltiger dans les appartements ; par eux-mêmes ces papillons ne font aucun dégât, mais ils déposeraient sur les étoffes des œufs, d'où proviendraient les redoutables chenilles qui mettent en pièces nos habits.
source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874