Le coq et la poule, les plus précieux oiseaux de nos basses-cours, nous sont venus de l'Asie, à une époque si reculée, que le souvenir s'en est perdu. Ils sont aujourd'hui à peu près répandus dans toutes les parties du monde.

Le coq a le regard vif, la contenance fière, la démarche lente, et grave. Une lame de chair rouge écarlate lui forme sur le haut du front une crête dentelée, et sous la base du bec deux larges barbillons semblables à des pendeloques de corail. Sur chaque tempe, à côté de l'oreille, est une plaque de peau nue et d'un blanc mat. Une riche pèlerine d'un roux doré lui descend du col et lui retombe sur les épaules et la poitrine. Deux plumes d'un vert sombre, à reflets métalliques, se recourbent gracieusement en panache au-dessus de la queue. Le pied est armé d'un éperon de corne, dur et pointu, arme de combat dont l'oiseau poignarde son rival dans une lutte à mort. Son chant est un éclat de voix sonore, qu'il fait entendre à toute heure, de nuit aussi bien que de jour. A peine le ciel commence-t-il à blanchir des douteuses clartés de l'aube, que, debout sur son perchoir, il jette aux échos de la nuit son perçant coquerico, réveille-matin de la ferme.

Le coq est le roi de la basse-cour. Plein de souci pour ses poules, il les conduit, les défend, les gourmande, les châtie. Il surveille du regard celles qui s'écartent ; il va chercher les vagabondes et les ramène avec des inflexions de voix qui ressemblent à des admonestations. Un coup de bec, au besoin, achève de persuader les plus récalcitrantes. Mais, s'il découvre des vivres, grains, insectes, vermisseaux, aussitôt il convie les poules au régal. Lui cependant, superbe, généreux, se tient au milieu d'elles, grattant le sol pour mettre à nu les vers et distribuer de çà, de là, aux convives, la nourriture déterrée. Si quelque poule gloutonne se fait la part trop grosse, il la rappelle aux devoirs de la communauté et la réprimande d'un coup de bec sur la crête. Toutes ses compagnes repues, il se contente frugalement des restes.

Plus simple de costume, la poule, joie de la fermière, gratte et becquette en caquetant. En quelque coin poudreux, visité du soleil, elle s'accroupit avec délices, se trémousse des ailes et des pattes, et fait voler une fine pluie de poussière entre ses plumes entr'ouvertes. Quand l'oeuf est pondu dans le panier bourré de paille et appendu au mur, elle annonce ses joies avec un tel enthousiasme, que ses compagnes prennent intérêt à l'heureux événement et remplissent le poulailler d'un choeur général d'allégresse. Comme le coq, elle avale de menus graviers qui lui tiennent lieu de dents et servent à broyer le grain dans le gésier ; elle boit en levant la tête au ciel pour faire descendre la gorgée ; elle dort sur une patte, l'autre retirée au chaud dans la plume, et la tête cachée sous l'aile.

Un des plus intéressants spectacles de la ferme, c'est celui de la poule conduisant sa famille de poussins. Grattant le sol, gloussant d'une voix enrouée par les fatigues maternelles, elle déterre de menus grains que les petits viennent prendre sous son bec. A la moindre apparence de danger, elle rappelle la couvée dispersée, et tous accourent se blottir sous ses ailes gonflées. Les plus hardis mettent la tête à l'air, leur jolie tête jaune encadrée dans le sombre plumage de la mère. L'alerte passée, la poule se remet à gratter en gloussant, et les petits à trottiner autour d'elle.

Qu'est ceci ? — C'est l'ombre d'un autour qui, un instant, est venue faire tâche au milieu du soleil de la cour. La menaçante apparition n'a pas eu la durée d'un clin d'oeil ; la poule néanmoins l'a vue. Le danger presse, l'oiseau de rapine n'est pas loin. Au gloussement d'alarme, les poussins se réfugient à la hâte sous la mère, qui leur fait rempart de ses ailes. Et maintenant le ravisseur peut venir. Cette mère si faible si timide, qu'un rien mettrait en fuite, dans toute autre occasion, devient d'une imposante audace quand il s'agit de sa couvée. Que l'autour paraisse, et la poule, ivre de tendresse et d'intrépidité, se jettera au devant de la terrible serre. Par ses battements d'ailes, ses cris redoublés, ses furieux coups de bec, elle tiendra tête à l'oiseau de proie, qui finira par s'éloigner, rebuté par cette indomptable résistance.

L'attachement de la poule pour ses poussins se montre dans une autre circonstance fort remarquable. Comme elle est excellente couveuse, on lui donne parfois à couver les oeufs de la cane. La poule élève sa famille d'adoption comme sa propre famille ; elle a pour les petits canards les mêmes soins qu'elle aurait pour ses poussins. Tout va bien tant que les canetons, veloutés d'un poil follet jaune, se conforment aux avis de leur nourrice et courent sous son aile au premier cri d'appel. Mais un jour vient où leur instinct aquatique s'éveille. Ils sentent la mare, les petits canards, la mare voisine, où coasse la grenouille, où frétillent les têtards, Ils y vont clopin-clopant, rangés sur une file. La poule les suit, ignorante de leurs projets. Ils atteignent la mare et se jettent à l'eau. C'est alors de la part de la poule, qui croit sa famille en danger, les gloussements les plus désespérés. Dans ses transes mortelles, la pauvre mère court, comme une folle, sur le rivage, la voix enrouée d'émotion, le plumage hérissé de frayeur ; elle rappelle, menace, supplie ; le rouge de la colère lui monte à la crête, le feu du désespoir lui allume la prunelle. Elle va même, miracle de l'amour maternel  ! elle va jusqu'à risquer une patte dans l'eau, dans l'élément perfide dont la vue la fait pâmer d'effroi. Mais à toutes ses supplications, les petits canards font la sourde oreille, heureux de pourchasser, au milieu des cressons, le têtard au ventre argenté.

Diverses espèces de coqs, origine première de nos races domestiques, vivent encore aujourd'hui, à l'état sauvage, dans les forêts de l'Asie, notamment aux Indes, aux îles Philippines, à Java. Le plus remarquable est le Coq Bankiva, qui, par sa forme, son plumage, ses moeurs, rappelle le mieux le vulgaire coq de nos basses-cours. Sa taille n'arrive pas à celle d'une perdrix. Il a la crête rouge et dentelée, la queue recourbée en panache et le cou garni d'un camail de plumes tombantes d'un superbe roux doré. Ce gracieux petit coq, tout pétulant, tout batailleur, a les moeurs du nôtre. Il marche fièrement en tête de son troupeau de poules, à la sureté desquelles il veille avec un soin extrême. Si des chasseurs parcourent le bois, si quelque chien rôde dans le voisinage, le vigilant oiseau a bientôt aperçu, soupçonné l'ennemi. Il vole à l'instant sur une haute branche, d'où il jette le cri d'alarme pour avertir les poules, qui, à la hâte, se dissimulent sous les feuilles ou se blotissent dans les trous des arbres, et attendent, immobiles, que le danger soit passé.

source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874