Le cocon du ver à soie se compose de deux enveloppes, l'une extérieure, consistant en une sorte de gaze très lâche, l'autre intérieure, formée d'un tissu très-serré.

Cette dernière est le cocon proprement dit et fournit seul un fil de grande valeur ; l'autre, à cause de son irrégularité, ne peut être dévidée et ne donne qu'une soie propre à être cardée. L'enveloppe extérieure enchevêtre ses fils aux menus rameaux entre lesquels le ver s'est établi ; elle n'est qu'une sorte d'échafaudage, de hamac à jour, où la chenille s'isole et prend appui pour le travail solide et soigné de l'enveloppe intérieure. Lorsque ce hamac est prêt, le ver se fixe aux fils avec ses pattes postérieures ; il se soulève, se recourbe et porte tour à tour la tête d'un côté et d'autre en laissant couler de sa lèvre un fil qui, par sa viscosité, adhère aussitôt aux points touchés. Sans changer de position, la chenille dépose ainsi une première couche sur la partie de l'enceinte qui lui fait face. Elle se retourne alors et tapisse un autre point de la même manière. Quand toute l'enceinte est tapissée, à la première assise en succèdent d'autres, cinq, six et davantage, jusqu'à ce que les réservoirs de la matière à soie se trouvent épuisés, et que l'épaisseur de la paroi soit suffisante pour la sécurité de la future chrysalide.

D'après la manière dont travaille la chenille, on voit que le fil ne s'enroule pas circulairement comme celui d'une pelote, mais se distribue en une série de zigzags d'avant en arrière et de droite à gauche. Malgré ses changements brusques de direction et sa longueur, qui mesure 300 à 350 mètres, non compris l'enveloppe externe, ce fil n'est jamais interrompu. Son poids est en moyenne de 1 décigramme et demi ; il suffirait donc de 15 à 20 kilogrammes de cette soie pour fournir une longueur de 10,000 lieues, ce qui est le tour de la terre.

L'examen, avec des verres grossissants, montre que le fil du cocon est un tube excessivement fin, aplati, irrégulier à la surface et composé de trois couches distinctes. La couche centrale est de la soie pure ; au-dessus est un vernis inattaquable par l'eau chaude, mais soluble dans une faible lessive ; enfin à la superficie est un enduit gommeux qui agglutine fortement entre eux les zigzags du fil et forme de leur ensemble une solide paroi.

Dès que le travail des chenilles est fini, on recueille les cocons sur la ramée de bruyère. Quelques-uns, les plus sains, sont mis à part et abandonnés à la métamorphose. Leurs papillons donnent des oeufs ou graines, d'où proviendra, l'année suivante, la nouvelle chambrée de vers. Sans retard, les autres sont exposés dans une étuve à l'action de la vapeur brûlante. On tue ainsi la chrysalide, dont les tendres chairs lentement prenaient forme. Si l'on négligeait cette précaution, le papillon percerait le cocon, qui, ne pouvant plus se dévider à cause de ses fils rompus, perdrait toute sa valeur. Le dévidage se fait dans des ateliers nommés filatures. On met les cocons dans une bassine d'eau bouillante pour dissoudre la gomme qui agglutine les divers tours. Une ouvrière, armée d'un petit balai de bruyère, les agite dans l'eau pour trouver et saisir le bout du fil, qu'elle met sur un dévidoir en mouvement. Entraîné par la machine, le filament de soie se développe, tandis que le cocon sautille dans l'eau chaude comme un peloton de laine dont on tirerait le fil. Au centre du cocon épuisé, il reste la chrysalide infecte, tuée par le feu. Comme un seul fil ne serait pas assez fort pour la fabrication des tissus, on dévide à la fois plusieurs cocons, de 3 à 15 et même au delà, suivant la solidité des étoffes auxquelles la soie est destinée. C'est ce faisceau de plusieurs brins que les machines de tissage emploient plus tard comme un fil unique.

Telle qu'elle sort des bassines de dévidage, la soie brute du cocon a perdu sa couche gommeuse, dissoute par l'eau bouillante ; mais elle est encore revêtue de son vernis naturel, qui lui donne sa roideur, son élasticité, sa couleur. En cet état, on la nomme soie écrue. Elle est tantôt jaune, tantôt blanche, suivant la couleur des cocons d'où elle provient. Pour devenir apte à recevoir la teinture qui en rehaussera l'éclat et le prix, la soie doit d'abord être dépouillée de ce vernis au moyen d'un léger lessivage à chaud. Elle perd ainsi le quart environ de son poids et devient d'un beau blanc, quelle que soit sa couleur primitive. Après ce traitement d'épuration, elle prend le nom de soie décreusée ou de soie cuite.

Le ver à soie et le mûrier qui le nourrit sont originaires de la Chine, où l'on savait déjà tisser la soie vingt-sept siècles avant notre ère. De la Chine, la culture du mûrier et l'éducation des vers pénétrèrent dans les Indes et en Perse. C'est au commencement de l'Empire qu'on vit à Rome, pour la première fois, des étoffes de soie venues de l'Orient. Le prix en était tellement excessif, qu'un décret de Tibère défendait aux hommes les vêtements faits avec cette coûteuse matière. L'insensé Héliogabale fut le premier qui, par un luxe effréné, osa se vêtir de soie pure ; jusqu'à lui, on ne s'était permis de l'employer qu'en la mélangeant avec d'autres substances. Longtemps après, l'empereur Aurélien fermait l'oreille aux supplications de sa femme, qui désirait un habillement de soie : «  Les dieux me préservent, répondait-il, d'employer de ces étoffes qui s'achètent au poids de l'or. »

L'industrie de la soie fut importée en Europe vers le milieu du sixième siècle. En 555, sous le règne de Justinien, deux moines apportèrent des Indes à Constantinople des plants de mûriers, ainsi que des oeufs du précieux ver cachés dans une canne creuse. Ils enseignèrent la manière de faire éclore les oeufs, de nourrir les chenilles, de filer la soie, et bientôt des manufactures s'élevèrent dans plusieurs villes de l'empire grec, notamment à Corinthe, à Thèbes, à Athènes. Cinq cents ans plus tard, la culture du mûrier devint si florissante dans la partie de la Grèce appelée le Péloponèse, que ce pays échangea son antique nom pour celui de l'arbre qui faisait sa richesse, et s'appela Morée, du latin morus, signifiant mûrier.

Au XIIè siècle, Roger II, roi de Sicile, introduisit l'industrie de la soie à Palerme, d'où elle se propagea en Calabre et dans le reste de l'Italie. Lorsque Philippe le Hardi lui eut fait la cession du comtat Venaissin, qui devait, trente ans plus tard, devenir le siége de la papauté, Grégoire X fit planter des mûriers dans la nouvelle province et venir des ouvriers en soie de la Sicile et de Naples. Bientôt, favorisée par la présence et les encouragements des papes, cette industrie prit un développement qui permit aux soieries d'Avignon de rivaliser avec les plus belles de l'Italie. D'Avignon, la fabrication des soieries se propagea à Nîmes et à Lyon.

En 1554, Henri II rendit un édit pour ordonner la plantation des mûriers ; on dit que ce prince fut le premier qui porta des bas de soie. Henri IV prit beaucoup d'intérêt à la production de la soie dans son royaume ; il fit planter des mûriers à Orléans, à Fontainebleau, à Paris même, dans le jardin des Tuileries. Mais c'est principalement sous le ministère de Colbert que cette culture reçut une grande impulsion. Ce grand ministre, qui voyait dans le commerce, l'agriculture et l'industrie les principales sources de la prospérité d'une nation, établit des pépinières royales en diverses provinces, et fit planter, aux frais de l'État, sur les terres des particuliers, les mûriers qui en provenaient. Ce procédé généreux, mais violent et portant atteinte à la propriété, déplut aux cultivateurs, qui laissèrent dépérir les arbres. Colbert eut alors recours à un moyen plus efficace et moins arbitraire : il promit et paya vingt-quatre sous par pied de mûrier qui subsisterait trois ans après la plantation. L'appât de ce gain surmonta toutes les difficultés, et la Provence, le Languedoc, le Vivarais, le Dauphiné, le Lyonnais, la Touraine, la Gascogne, se couvrirent de mûriers pour les chambrées de vers à soie.

source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874