Quand elle a suffisamment grandi, la larve se prépare un abri tranquille pour un sommeil semblable à celui de la mort, pendant lequel se fait la métamorphose. Mille méthodes sont en oeuvre pour la préparation de ce gîte.

Certaines larves s'enfouissent simplement dans la terre ; d'autres s'y creusent des niches rondes à parois polies. Il y en a qui se façonnent un abri avec des feuilles sèches ; il y en a qui savent agglutiner en boule creuse les grains de sable et le bois pourri. Celles qui vivent dans le tronc des arbres bouchent en arrière, avec un tampon de sciure de bois, la galerie qu'elles se sont creusée ; une petite chenille vivant dans le blé ronge toute la partie farineuse du grain et respecte l'enveloppe, le son, qui doit lui servir de berceau. D'autres, moins, précautionnées, s'abritent dans quelque ride d'une écorce, d'un mur, et s'y fixent au moyen d'un cordon qui les ceint par le travers du corps. Mais c'est surtout dans la confection de la cellule de soie appelée cocon que se montre la haute industrie des larves.

Une chenille, d'un blanc cendré, de la grosseur du petit doigt, est élevée en grand pour son cocon, avec lequel se font les étoffes de soie. On l'appelle le Ver à soie. Dans des chambres bien propres sont disposées des claies de roseaux, sur lesquelles on met de la feuille de mûrier et les jeunes chenilles provenant des oeufs éclos en domesticité. Le mûrier est un grand arbre cultivé exprès pour nourrir les chenilles ; il n'a de valeur que par ses feuilles, seule nourriture des vers à soie. On consacre à sa culture de grandes étendues, tant le travail du ver est chose précieuse. Les chenilles mangent la ration de feuilles, renouvelée fréquemment sur les claies, et, changent à diverses reprises de peau à mesure qu'elles se font grandes. Leur appétit est tel, que le cliquetis des mâchoires, broutant à petites bouchées, ressemble au bruit, d'une fine averse tombant, par un temps calme, sur le feuillage des arbres. Il est vrai que la chambrée contient, des milliers et des milliers de vers. En quatre à cinq semaines, la chenille acquiert tout son développement. On dispose alors sur les claies de la ramée de bruyère, où montent les vers à mesure que leur moment est venu de filer le cocon. Ils s'établissent un à un entre quelques menus rameaux, et fixent çà et là une multitude de fils très-fins, de façon à former une espèce de réseau qui les maintient suspendus et doit leur servir d'échafaudage pour le grand travail du cocon.

Le fil de soie leur sort de la lèvre inférieure par un trou appelé filière. Dans le corps de la chenille, la matière à soie est un liquide très-épais, visqueux, semblable à de la gomme ; elle est contenue dans deux petits sacs très-longs et très-étroits, entortillés sur eux-mêmes. En s'écoulant par l'orifice de la lèvre, ce liquide s'étire en fil, qui se colle aux fils précédents et durcit aussitôt. La matière à soie n'est pas contenue toute faite dans la feuille de mûrier que mange le ver, pas plus que le lait n'est contenu tel quel dans l'herbe que broute la vache. La chenille la produit avec les matériaux fournis par l'alimentation, comme la vache produit le lait avec la substance du fourrage. Sans l'aide de la chenille, l'homme ne pourrait jamais retirer des feuilles du mûrier la matière de ses tissus les plus précieux. Nos admirables étoffes de soie prennent réellement naissance dans le ver, qui les bave en un fil.

Revenons à la chenille suspendue au milieu de son lacis. Maintenant elle travaille au cocon. Sa tête est dans un mouvement continuel. Elle avance, elle recule, elle monte, elle descend, elle va de droite et de gauche tout en laissant échapper de sa lèvre un menu fil, qui se fixe à distance autour de l'animal se colle aux brins déjà placés, et finit par former une enveloppe continue de la grosseur d'un oeuf de pigeon. L'édifice de soie est d'abord assez transparent pour permettre de voir travailler la chenille ; mais en augmentant d'épaisseur, il dérobe bientôt aux regards ce qui se passe dedans. Ce qui suit se devine sans peine. La chenille, pendant trois à quatre jours, épaissit la paroi du cocon jusqu'à ce qu'elle ait épuisé ses provisions de liquide à soie. La voilà enfin retirée du monde, isolée, tranquille, recueillie pour la transfiguration qui va bientôt se faire.

Une fois enclose dans son cocon, la chenille se flétrit et se ride comme pour mourir. D'abord la peau se fend sur le dos ; puis, par des trémoussements répétés qui tiraillent d'ici, qui tiraillent de là, le ver s'écorche douloureusement. Avec la peau tout vient : dure calotte du crâne, mâchoires, yeux, pattes, estomac et le reste. C'est un arrachement général. La guenille du vieux corps est enfin repoussée dans un coin du cocon.

Que trouve-t-on alors dans la cellule de soie ? Une autre chenille, un papillon ? Ni l'un ni l'autre. On trouve un corps en forme d'amande, arrondi par un bout, pointu par l'autre, de l'aspect du cuir et nommé chrysalide. C'est un état intermédiaire entre la chenille et le papillon. On y voit certains reliefs qui déjà trahissent les formes de l'insecte futur. Au gros bout, on distingue les antennes et les ailes étroitement appliquées en écharpe. La chrysalide est l'insecte en voie de formation, le papillon étroitement emmailloté dans des langes sous lesquels s'achève l'incompréhensible travail qui doit changer de fond en comble la structure première.

En une vingtaine de jours, si la température est propice, la chrysalide du ver à soie s'ouvre ainsi qu'un fruit mûr, et de sa coque fendue se dégage le papillon, tout chiffonné, tout humide, pouvant à peine se soutenir sur ses jambes tremblantes. Il lui faut le grand air pour prendre des forces, pour étaler et sécher ses ailes. Il lui faut sortir du cocon, mais comment s'y prendre ? La chenille a fait le cocon très-solide, et le faible papillon ne possède ni griffes ni dents qui puissent forcer la prison. Il en sortira cependant, car toute créature a ses ressources dans les moments difficiles de la vie. Pour briser la coque de l'oeuf qui le retient prisonnier, le tout petit poulet a sur le bout du bec un durillon fait exprès ; pour user la paroi de sa cellule, le papillon a ses yeux façonnés en râpe. Les yeux des insectes sont recouverts d'une calotte de corne transparente, dure et taillée à facettes. Il faut un verre grossissant pour distinguer ces facettes, tant elles sont fines ; mais, si fines qu'elles soient, elles n'ont pas moins de vives arêtes, dont l'ensemble constitue au besoin une râpe. Le papillon commence donc par humecter avec une goutte de salive le point qu'il veut attaquer ; et puis, appliquant un oeil à l'endroit ramolli, il tourne sur lui-même, il gratte, il lime. Un à un les fils sont rompus par la râpe ; le trou est fait et le papillon sort du cocon.

Le papillon du ver à soie n'a rien de gracieux. Il est blanchâtre, ventru, lourd ; il ne vole pas, comme les autres, de fleurs en fleurs, car il ne prend aucune nourriture. Aussitôt sorti du cocon, il se met à pondre ses oeufs ; puis il meurt. Les oeufs des vers à soie s'appellent vulgairement graines, expression populaire fort juste, car l'oeuf est la graine de l'animal, comme la grainé est l'oeuf de la plante. Oeuf et graine se correspondent.

source : Jean-Henri Fabre, Aurore, 1874