- Le terrier
Pour désigner l'insecte objet de ce chapitre, la nomenclature savante associe deux noms redoutables : celui de Minotaure, le taureau de Minos nourri de chair humaine dans les cryptes du labyrinthe de Crète, et celui de Typhée, l'un des géants, fils de la Terre, qui tentèrent d'escalader le ciel. A la faveur de la pelote de fil que lui donna Ariane, fille de Minos, l'Athénien Thésée parvint au Minotaure, le tua et sortit sain et sauf, ayant délivré pour toujours sa patrie de l'horrible tribut destiné à la nourriture du monstre. Typhée, foudroyé par son entassement de montagnes, fut précipité dans les flancs de l'Etna.
- Premier appareil d'observation
Jadis les Géotrupes, cousins du Minotaure, me valaient une délicieuse rareté : la longue association à deux, le vrai ménage, travaillant de concert au bien-être des fils. D'un même zèle, Philémon et Baucis, comme je les appelais alors, préparaient le logis et les vivres. Philémon, plus vigoureux, comprimait les conserves sous la poussée de ses brassards, Baucis exploitait le monceau de la surface, choisissait le meilleur et descendait, par brassées, de quoi confectionner l'énorme saucisson. C'était superbe, la mère épluchant, le père comprimant.
- Second appareil d'observation
La demeure à trois bambous, d'aménagement si étranger aux usages du Minotaure, pourrait bien être en partie la cause de la fin prématurée du père. Dans le tube de verre, tout au fond, un seul gâteau cylindrique a été préparé. Ce n'est pas assez évidemment. Il en faut deux au moins pour le maintien de l'espèce en l'état actuel ; il en faut davantage et le plus possible pour la prospérité croissante. Mais dans mon appareil la place manque, à moins de superposer les cylindres nourriciers et de les empiler en colonnes, faute que ne commettra pas la mère.
- La morale
C'est le moment de récapituler les mérites du Minotaure. Lorsque finissent les grands froids, il se met en quête d'une compagne, s'enterre avec elle, et désormais lui reste fidèle malgré ses fréquentes sorties et les rencontres qui peuvent en résulter. D'un zèle que rien ne lasse, il vient en aide à la fouisseuse, destinée à ne jamais sortir de chez elle jusqu'à l'émancipation de la famille. Un mois durant et davantage, il charge les déblais des fouilles sur sa hotte fourchue ; il les hisse au dehors, toujours patient, jamais découragé par la rude escalade. Il laisse à la mère le travail modéré du râteau excavateur, il garde pour lui le plus pénible, l'exténuant charroi dans une galerie étroite, très haute et verticale.