- La demeure
C'est un taciturne, de moeurs occultes, de fréquentation sans agrément, si bien que son histoire, en dehors des données anatomiques, se réduit de peu s'en faut à rien. Le scalpel des maîtres nous en a révélé la structure organique, mais nul observateur, que je sache, ne s'est avisé de l'interroger avec quelque insistance sur ses habitudes intimes.
- L'alimentation
J'apprends d'abord que, malgré son arme terrible, signe probable de brigandage et de goinfrerie, le Scorpion languedocien est un mangeur d'extrême frugalité. Lorsque je le visite chez lui, parmi les rocailles des collines voisines, je fouille avec soin ses repaires dans l'espoir d'y trouver les reliefs d'une ripaille d'ogre, et je n'y rencontre que les miettes d'une collation d'ermite ; habituellement même je n'y récolte rien du tout.
- Le venin
Pour l'attaque de la menue proie, son habituelle nourriture, le Scorpion ne fait guère usage de son arme. Il saisit l'insecte des deux pinces et tout le temps le maintient de la sorte à la portée de la bouche, qui doucement grignote. Parfois, si le dévoré se démène et trouble la consommation, la queue s'incurve et vient à petits coups immobiliser le patient. En somme, le dard n'a qu'un rôle fort secondaire dans l'acquisition du manger.
- L'immunité des larves
Nous le tenons si peu, le secret du Scorpion, que des faits inattendus viennent étrangement compliquer le problème. L'étude de la vie nous vaut de ces surprises.
- Les préludes
En avril, lorsque nous revient l'hirondelle et que sonne la première note du coucou, une révolution se fait dans la bourgade de l'enclos, jusque-là si paisible. Divers, la nuit venue, quittent leur abri, s'en vont péleriner, ne rentrent plus chez eux.
- La pariade
Juin commence. Crainte d'un trouble que l'illumination trop vive pourrait amener, j'ai tenu jusqu'ici la lanterne appendue au dehors, à quelque distance du vitrage. La clarté insuffisante ne me permet pas de voir certains détails sur le mode d'attelage du couple en promenade. Sont-ils actifs l'un et l'autre dans le système des mains liées ? forment-ils de leurs doigts un engrenage alterne ? ou bien un seul agit-il, et lequel ? Informons-nous exactement, la chose a son importance.
- La famille
La science des livres est une médiocre ressource dans les problèmes de la vie ; à la riche bibliothèque est ici préférable l'assidu colloque avec les faits. En bien des cas, il est excellent d'ignorer ; l'esprit garde sa liberté d'investigation et ne s'égare pas en des voies sans issue, suggérées par la lecture. Encore une fois, je viens d'en faire l'expérience.